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avait vu dans le cristal. Brakelbank perd un couteau de poche, le cherche vainement, n’y pense plus. Six mois après, il en rêve, voit la poche d’un vieux pantalon abandonné où est son couteau. Il s’éveille, y va, le trouve. Divination ! Non. Souvenir polygonal réapparaissant dans le sommeil. « Mlle Goodrich Freer, raconte encore Myers, voit dans un cristal l’annonce de la mort d’une de ses amies ; fait totalement étranger à son moi conscient d’ordinaire. En se reportant au Times, elle trouve, dans une feuille dont elle s’était servie pour protéger sa face contre la chaleur de la cheminée, l’annonce de la mort d’une personne portant le même nom que son amie ; de sorte que, ajoute Myers, les mots ont pénétré dans le champ de la vision, sans atteindre son esprit éveillé. »

Tous ces faits (et ils sont nombreux), qui ne sont au fond que du « déjà vu »[1] polygonal, ou plutôt des réminiscences polygonales, disparaissent du domaine de la télépathie et de la prémonition. Mais il en reste un grand nombre d’autres. Pour ceux-ci, je demande la permission de rééditer l’objection, très ressassée mais très vraie, de la coïncidence.

J’ai souvent entendu raconter autour de moi l’histoire, très curieuse, que j’ai citée tout à l’heure, de la femme de soldat qui a eu, à Montpellier, la sensation télépathique de la mort de son mari à la frontière de l’Est. Mais personne n’a relevé les heures d’angoisse antérieures, pendant lesquelles elle avait cent fois pensé à la mort violente de son mari. On n’a retenu que le cas où il y a eu coïncidence avec la réalité.

Les faits isolés ne me paraissent rien prouver. Il faudrait toujours une longue contre-épreuve, c’est-à-dire que la même personne devrait, pendant des mois et des années, noter exactement toutes les impressions fortes pouvant être interprétées comme télépathiques, noter ensuite à côté la concordance ou la non-concordance de l’événement, et on verrait si la proportion des concordances est réellement, pour certains sujets, bien plus grande que ne le veut la loi des probabilités et des coïncidences[2].

  1. Sur la sensation du « déjà vu » ou « déjà éprouvé, » voyez le Journal de Psychologie normale et pathologique, 1904, n° 1.
  2. « Pour quelques cas, dit M. Bourdeau, où des pressentimens, des hallucinations coïncident avec des maladies et des morts, combien s’en trouve-t-il où la concordance ne se réalise pas ! Si vous faites tirer un régiment à la cible, dans la nuit, quelques balles, sans doute, atteindront le but sans qu’on en puisse conclure que les tireurs sont doués de seconde vue. »