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brutes de leurs récits, sans parvenir à en extraire le grand sens poétique, c’est l’empreinte germanique qui a conféré à la légende de Tristan sa valeur sérieuse et tragique. »


II

Il est certain que, depuis Eilhart d’Oberg, qui vivait au XIIe siècle, et Gottfried de Strasbourg, jusqu’à Richard Wagner, dont il importe ici de ne pas oublier que le drame est de 1859, le sujet de Tristan est un de ceux que l’Allemagne a toujours traités avec une prédilection singulière : M. Bossert nous donne, à cet égard, dans le dernier chapitre de son livre, d’intéressans détails. Il y a plus : Wagner n’a pas découragé les imitateurs, et on compte, au nombre de ceux qui n’ont pas craint de remettre après lui le sujet de Tristan sur la scène, le philosophe Edouard de Hartmann. Son audace ne paraît pas avoir été récompensée. Et, en effet, Tristan, c’est désormais dans l’histoire de la littérature universelle, et ce sera toujours le Tristan de Wagner, de même que Roméo sera toujours le Roméo de Shakspeare, et encore que Bandello et Luigi da Porta aient conté supérieurement l’histoire des amans de Vérone. Il nous faut même aujourd’hui, quand nous voulons parler de Tristan, commencer par écarter de nous le souvenir du Tristan de Wagner, et, par-dessus tout, prendre garde à ne pas le laisser nous dicter nos impressions sur le Tristan de la légende. « L’empreinte germanique » dont on nous parlait tout à l’heure, n’est peut-être qu’une « empreinte wagnérienne ; » et, de fait, en un certain sens, on ne saurait rien imaginer de plus différent du drame de Wagner que le poème de Gottfried de Strasbourg, lequel pourtant semble avoir été sa principale source d’inspiration et d’information. Prestige du style ! Autorité du génie ! « La poésie des races celtiques, » c’est ce qu’en a dit Ernest Renan ; et la légende de Tristan, c’est la « matière de Bretagne, » telle que Richard Wagner l’a fixée !

La popularité du roman de Tristan a été grande au moyen âge, plus grande ou aussi grande que celle de pas un autre des Romans de la Table Ronde. Si nous n’avons plus le poème de Chrétien de Troyes, nous avons celui de Gottfried de Strasbourg, qui passe pour un des « monumens » de la littérature allemande du moyen âge. Dans la littérature du moyen âge, les allusions à