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articulait toutes les charges d’une voix humble, comme s’il s’excusait du triste devoir qu’il était forcé de remplir. La plupart des membres, au contraire, gardaient leur chapeau sur la tête, et se conduisaient avec un sans-gêne évidemment outré. Cependant le duc d’Orléans, qui s’était assis bien en face de son parent déchu, restait découvert et ne laissait rien voir de ses sentimens.


Veut-on, maintenant, après avoir assisté à cette orageuse séance, assister à l’une des séances parlementaires qui se tenaient à Paris neuf ans plus tard, en 1802 ? Yorke nous introduit dans un petit salon du Palais-Royal, meublé de banquettes recouvertes de drap bleu. Après une demi-heure d’attente, pendant laquelle, de temps à autre, un rideau se soulève, au fond de la salle, comme dans un théâtre, nous entendons une batterie de tambours, le rideau s’écarte, et nous apercevons un détachement de soldats, sur deux rangs, présentant les armes. Alors arrivent, solennellement, les législateurs, dont quelques-uns sont en costume de ville, et souvent râpé ou crotté, tandis que d’autres sont vêtus d’un uniforme bizarre, habit gris et gilet écarlate, avec des bottes rouges, un chapeau rond orné d’une plume bleue, une ceinture rouge à la taille, et une imposante canne à la main. Le président, lui, est vêtu d’un manteau bleu, brodé d’argent ; son gilet de soie blanche est traversé d’une écharpe tricolore avec des franges d’argent ; et son chapeau s’orne de trois longues plumes tricolores. Il y a là, entre autres célébrités du jour ou de la veille, l’élégant Lucien Bonaparte et Carnot, tout en noir, mais très élégant, lui aussi. Malheureusement, sa mine est maussade, et, durant toute la séance, il ne relève point les yeux d’une brochure qu’il est en train de lire. « Sitôt monté à sa tribune, le président agite une sonnette, se découvre, et déclare la séance ouverte. Alors six huissiers, brusquement, font entendre un bruit que je ne saurais mieux comparer qu’à celui d’une troupe d’oies : cela signifie que l’on doit se taire. Et, en effet, aucun ordre du jour n’est lu, aucun débat n’a lieu. Le président donne lecture d’un texte de loi : sur quoi chacun des membres, par appel nominal, s’avance vers la tribune, et jette dans l’urne une boule, qui représente son vote. Cette cérémonie se répète, avec une monotonie absolue, pendant plus de trois heures : toujours le même défilé muet, dans le même ordre invariable. Enfin le président agite de nouveau sa sonnette et déclare la séance levée. »

Mais c’est que, à cette heure, la France a trouvé un maître qui entend se charger lui-même du travail législatif, et assurer le bonheur de la République, tel qu’il le conçoit. Aussi devine-t-on que l’un des