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Il est très digne de remarque, en effet, mais d’ailleurs incontestable, que l’Introduction à la Vie dévote ait été d’abord un ouvrage de circonstance, ayant une destination particulière. Saint François nous en donne le témoignage formel. Envoyant le livre à l’archevêque de Vienne, il le lui présente en ces termes : « C’est un mémorial que j’avais dressé pour une belle âme qui avait désiré ma direction… Elle le montra au Révérend Père Porier, lors recteur du collège de Chambéri… qu’elle savait être mon grand ami… Ce fut lui qui me pressa si fort de faire mettre au jour cet écrit, qu’après l’avoir hâtivement revu et accommodé de quelques petits agencemens je l’envoyai à l’imprimeur… Si jamais il retourne sous la presse, je me délibère de l’agencer et accroître de certaines pièces qui, à mon avis, le rendront plus utile au public et moins indigne de la faveur que vous lui faites. » Le volume ayant dû presque aussitôt retourner sous la presse, saint François le compléta comme il en avait le dessein ; et, pour le compléter, il employa la même méthode dont il avait usé pour le composer. Je veux dire qu’il se servit, cette fois encore, de ses lettres de direction, et qu’ayant mis d’abord à contribution sa correspondance avec Mme de Charmoisy, il l’accrut d’une partie de la correspondance avec Mme de Chantal. « Apportez-moi toutes les lettres et mémoires que je vous ai jamais envoyés, lui écrivait-il, si vous les avez encore, parce qu’il faut réimprimer l’Introduction, cela me déchargera beaucoup, y trouvant plusieurs choses pour ce sujet. » Et peut-être une des raisons du succès immédiat de l’Introduction est-elle précisément que le livre avait été fait au jour le jour, sous la dictée des circonstances et pour répondre aux besoins qui étaient alors ceux des âmes.

C’est donc dans ces lettres qu’il faut étudier les procédés qu’apporte l’évêque de Genève dans la direction de conscience ; nous les saisissons à leur naissance même, et, comme il eût aimé à dire, dans leur naïveté. Tels sont d’ailleurs les mérites éminens et originaux dont presque aussitôt il fait preuve, qu’il s’est trouvé être le créateur d’un genre qui, avant lui, n’existait pas dans notre littérature et où tous ceux qui s’y sont exercés après lui, ont été ses tributaires. Du directeur de conscience, François de Sales a toutes les qualités, mais surtout la première qui est l’amour passionné des âmes. Il les aime toutes, et c’est chez lui le trait caractéristique. « Il n’y a point d’âmes au monde, comme je pense, qui chérissent plus cordialement, tendrement, et (pour le dire tout à la bonne foi) plus amoureusement que moi ; et même j’abonde un peu en dilection et es paroles d’icelles, surtout au commencement. » Et cet amour pour toutes les âmes ne