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côtés, et ce n’est pas là qu’était le mal. Mais le but que s’étaient proposé les pieux éditeurs était un but d’édification. Ils avaient donc sans scrupules, — ou, pour mieux dire, consciencieusement, — remanié le texte en ce sens et à cette fin. Les détails trop caractéristiques, trop personnels avaient été supprimés. Plusieurs lettres avaient été réduites en une seule, eu égard à l’analogie du sujet, et sans souci de la diversité des destinataires ou de la différence des époques. Aux mosaïques ainsi confectionnées on assignait une date, en partie inexacte, à moins qu’on ne négligeât totalement de les dater. En tête, on inscrivait une adresse vague et décevante : A une dame mariée ; à une veuve ; à un gentilhomme ; à une religieuse. Cette édition eut un grand succès. Elle fut réimprimée de nombreuses fois au XVIIe siècle. Et loin de nous d’en médire ! Ces « vieux livres » n’ont pas seulement pour nous cet attrait par où ils plaisent aux bibliophiles, et que naguère définissait si bien M. Jules Lemaître, celui d’avoir été maniés par les contemporains, par ceux-là mêmes au milieu de qui et pour qui ils étaient écrits. Il y a plus : ils ont été vraiment des êtres vivans, ils se sont mêlés au mouvement d’un siècle ; c’est par eux que la pensée de leur auteur est arrivée à beaucoup de gens qui s’en sont nourris, qui l’ont convertie en chair et en sang, qui l’ont fait passer dans leurs actes. Dans nos éditions savantes, les mêmes œuvres ne nous apparaissent plus aujourd’hui en effet que comme des objets de science ; et il y a quelque mélancolie à songer que tout ce que nous pouvons faire pour elles, c’est de les restituer dans leur froide pureté et d’en écrire l’histoire, parmi d’autres chapitres d’un passé mort. Aussi bien, cette intime vertu qui réside dans les éditions des Lettres parues au XVIIe siècle, ne se retrouve plus dans celles publiées au XVIIIe et au XIXe siècle. Celles-ci n’ont pas d’âme. Plus complètes, elles ne sont pas meilleures ; elles contiennent jusqu’à des lettres entièrement fabriquées ; ni ordre, ni méthode ; des attributions insuffisantes, ou douteuses, ou erronées. Les nouveaux éditeurs se sont proposé de nous donner une édition aussi complète qu’il était possible : ils ont fait dans toutes les archives la chasse aux pièces inédites : ils ont revu soigneusement le texte sur les originaux ; ils ont identifié les destinataires, contrôlé les dates, et adopté pour la classification l’ordre chronologique qui s’imposait. Grâce à eux, nous pouvons nous faire une idée juste des caractères de cette correspondance, de l’influence qu’elle a eue sur les mœurs, mais surtout sur le développement de notre littérature classique.

Très abondante, et beaucoup plus variée qu’on ne le dit en général,