Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/863

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renferment l’essence du gobinisme, allégé de la conclusion pessimiste qui fera toujours tort à cette dernière doctrine, aux yeux des hommes d’action, parce qu’ils doivent renoncer à appuyer sur elle leurs espoirs d’avenir.

Dans les origines toutes germaniques de la Restauration, continue Renan, on aperçoit sans peine le principe de ses défauts et de ses avantages. Elle fut un retour vers le régime qui convient le mieux aux États européens : mais un retour inintelligent, et antipathique à la France, toujours dominée par ses idées de souveraineté du peuple, et par ses goûts militaires : trop avide des « émotions de la caserne, » écrivait peu auparavant Gobineau. Et il est certain que le comte de Boulainvilliers eût acquiescé de tout son cœur aux conclusions de ces deux disciples à la fois si respectueux du droit monarchique héréditaire, et si fermes contre les empiétemens d’une royauté oublieuse de ses origines contractuelles. Voici en outre quelques observations que ce fils des preux de la conquête avait le premier formulées jadis et que son continuateur répète à sa suite. La noblesse, dont le rôle est de limiter la royauté et d’empêcher le développement exagéré de l’idée de l’Etat, a constamment manqué à ce devoir parmi nous. Depuis le XIVe siècle, « servir le roi » fut pour elle le mot d’ordre suprême : or, c’est là une erreur néfaste, puisque, s’il ne s’agit que de servir, il n’y a pas besoin de nobles pour cela. Et les « indépendances de position » doivent avoir au moins cet avantage que les places élevées, se transmettant de père en fils, leur titulaire est dispensé de suivre, pour y parvenir, ces pénibles chemins où chacun laisse une partie de sa fierté, quand il n’y laisse pas une partie de son honneur.

Dans son Essai sur l’inégalité, Gobineau fixait, lui aussi, au XIVe siècle l’heure fatale où les inspirations germaniques cédèrent la place aux influences romaines dans le cœur des nobles de conquête. Tandis que le féodal anglais restait plus fidèle à ses origines, « le gentilhomme français fut au contraire sommé de reconnaître que les obligations strictes de l’honneur l’astreignaient à tout sacrifier à son roi… Cette doctrine n’était en réalité qu’un placage germanique sur des idées impériales romaines. Sa source, si l’on veut la chercher à fond, n’était pas loin des inspirations sémitiques, » qui firent les despotes de l’Orient.

On peut dire sans injustice, conclut Renan de son côté, que la noblesse a été le vrai coupable de notre histoire. Sous la