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depuis Philippe le Bel. Elle est alors tombée sous l’influence de légistes, imbus des principes du droit romain. Puis, vers le temps de la Renaissance, elle a prêté l’oreille à ces publicistes italiens qui, dociles aux leçons de l’antiquité ressuscitée, revenaient les uns à l’abstraction démocratique, les autres à l’absolutisme césarien.

C’est cette dernière doctrine qui l’emporta tout d’abord en France, et eut pour expression parmi nous la monarchie de Louis XIV, « sorte d’imitation d’un idéal sassanide ou mongol, qui doit être tenu pour un fait contre nature dans l’Europe chrétienne. Le moyen âge l’eût excommunié, ce despote de l’Orient, ce roi antichrétien qui se proclamait seul propriétaire de son royaume, disposait des âmes comme des corps, et anéantissait tous les droits devant l’orgueil sans bornes que lui inspirait le sentiment de son identification avec l’Etat. » Hélas ! poursuit Renan, une fois la notion de l’Etat déchaînée, on ne compte plus avec elle : Richelieu, Louis XIV, la Révolution et l’Empire se tiennent et s’enchaînent sans solution de continuité. Par la Révolution, le monde moderne revenait aux erreurs de l’antiquité, et la liberté eût été perdue pour toujours si le mouvement qui entraînait la France vers la conception despotique de l’Etat fût devenu universel.

Par bonheur, la Révolution ne fut pas un fait général. Les pays où dominait l’élément germanique[1], et auxquels le régime administratif et militaire de la France était insupportable, se cabrèrent et firent la Restauration. Ils « ramenèrent la France à la pure notion de la royauté dont elle s’était écartée depuis des siècles, et qui, il faut le dire, n’était nullement en rapport avec quelques-uns de ses instincts les plus secrets. » Nous avons vu Renan défendre la tradition germaniste de la conquête franque contre les attaques de Sacy : il prend ici position pour défendre la légitimité bourbonienne contre Guizot, l’avocat de la monarchie de Juillet.

Il est impossible de n’être pas frappé une fois de plus, à cette occasion, de l’identité qui se révèle entre ces vues et celles que Gobineau avait développées dans son Essai sur l’inégalité des races. Les traditionalistes et néomonarchistes, qui se sont groupés récemment pour tenter un effort théorique curieux, ont pu puiser à pleines mains dans ces pages hardies et spécieuses ; elles

  1. Questions contemporaines, p. 19.