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pensée. Le passé sérieux et grave du Piémont, écrit-il par exemple, est bien humble si on le compare aux glorieuses annales de Gênes, de Florence et de Milan. Et pourtant, le Piémont seul possède actuellement en Italie les conditions essentielles des États modernes : une maison royale, une noblesse provinciale, une bourgeoisie, une armée. Ces professions d’une foi nouvelle se tempèrent encore de quelque condescendance pour l’idéal républicain, qui est celui de Ferrari, et qui fut celui de son critique ; mais ce sont maintenant de pures formules de politesse. De toute évidence, les sympathies véritables sont désormais ailleurs, et nous allons en trouver une éclatante confirmation.

C’est en effet le 1er août de l’année 1858 que parut dans la Revue des Deux Mondes l’article sur M. de Sacy et l’Ecole libérale, dont les dernières pages peuvent passer pour un véritable manifeste germaniste et féodaliste. L’habile modération du ton est un ménagement nécessaire à l’égard de Sacy, protecteur des débuts de Renan, et son introducteur au Journal des Débats : mais la vigueur de l’argumentation n’en est nullement diminuée et la netteté de fa pensée ne laisse rien à désirer. Les enseignemens d’Augustin Thierry sont à présent retournés contre lui-même et contre son ami Sacy par un disciple émancipé qu’ont séduit les contradicteurs de ses maîtres. Lisons plutôt : « La classe privilégiée, issue de la féodalité qui, jusqu’à la Révolution de 1789, a représenté en France l’établissement germanique, recueillait, à plus de mille ans d’intervalle, le bénéfice de la grande révolution qui substitua la barbarie apparente, mais en réalité l’indépendance individuelle et locale, au despotisme administratif de l’Empire romain… L’obligation de la noblesse consiste à représenter les privilèges des individus, à limiter le pouvoir, à préserver les temps modernes de cette notion exagérée de l’État qui fit la ruine des sociétés antiques. » Telle est la justification des privilèges féodaux à la veille de 1789.

Sacy condamnait les efforts de l’érudition moderne pour jeter quelque lumière sur nos origines nationales : il eût préféré que l’on s’en fût tenu à notre extraction troyenne, à notre bon roi Francion, fils d’Hector et fondateur de la monarchie française. Non content de s’associer à Thierry pour déclarer close la controverse entre romanistes et germanistes dans la philosophie de l’histoire de France, il voudrait qu’elle n’eût jamais existé. « Nous en avons fini, il faut l’espérer, dit-il, avec les Gaulois et