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pensée de Renan. Outre les influences allemandes que nous avons signalées précédemment, deux influences françaises semblent avoir concouru pour le pousser en avant sur cette voie. Ce fut tout d’abord la lecture d’Augustin Thierry, qui protégea ses débuts littéraires et qu’il devait remplacer à l’institut dès 1856 : car les longues Considérations qui ouvrent les Récits des temps mérovingiens sont, au total, un résumé de la controverse entre germanistes et romanistes dans la philosophie de l’histoire de France[1]. Ce fut en second lieu, mais d’une façon moins certaine, l’action intellectuelle d’un homme que Renan pouvait, sur la fin de sa vie, croire oublié sans retour, et qui a connu néanmoins la revanche d’une renommée posthume imprévue : le comte Joseph-Arthur de Gobineau.

Question assez délicate que celle des emprunts possibles de Renan à Gobineau ! L’ouvrage qui contient toute la philosophie historique de ce dernier, l’Essai sur l’inégalité des races humaines, parut, pour ses deux premiers volumes en 1853, pour les deux derniers, en 1855[2]. Il ne fut pas sans être remarqué de quelques esprits attentifs lors de son apparition : M. Alfred Espinas, l’éminent sociologue, nous a affirmé qu’il le lut, jeune étudiant, et n’en oublia jamais tout à fait les thèses originales. Ewald le discuta dans les Goettingische Gelehrte Anzeigen en 1854, Quatrefages dans la Revue des Deux Mondes en 1857. Et, de plus, après la publication des deux premiers volumes de l’ouvrage, sans attendre celle des deux derniers, un savant philologue allemand, Pott, professeur à l’Université de Halle, consacra tout un livre à examiner la valeur scientifique de cet ouvrage paradoxal[3]. Or, le travail de Pott, qui est tout rempli du nom et des idées de Gobineau, est cité expressément par Renan dans son Histoire des langues sémitiques[4]. Il serait donc assez singulier qu’il n’eût point examiné en ce temps, c’est-à-dire vers 1856, l’ouvrage français qui avait été l’occasion de la dissertation allemande. Enfin l’on notera que dans la préface écrite

  1. Voyez sur ce sujet l’introduction au Ier volume de notre Philosophie de l’Impérialisme, — le comte de Gobineau et l’Aryanisme historique, Plon, 1903.
  2. La réédition de 1884 a été faite en deux volumes : mais l’édition originale en comptait quatre.
  3. Voici le titre du livre de Pott, en français : L’inégalité des races humaines, principalement au point de vue de la science linguistique, avec examen spécial de l’œuvre du même nom par le comte de Gobineau, Lemgo et Detmold, 1856.
  4. 2e édit.. p. 494.