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Georg Fuchs[1], et quelques autres, sont bien faits pour attirer l’attention sur cette ambitieuse philosophie de l’histoire.

I

On sait que Renan adopta tout d’abord des opinions démocratiques fort décidées. L’Avenir de la science en renferme l’expression sans voiles. Il n’est guère douteux que, durant les sanglantes journées de Juin 1848, le paisible étudiant du quartier Latin ne fût de cœur avec les insurgés des faubourgs, plutôt qu’avec les bataillons de l’ordre, car ses lettres à sa sœur Henriette trahissent malgré lui ces sympathies après tout généreuses. C’est que sa première philosophie de l’histoire s’était dessinée dans son esprit sous une double influence : celle de son humble situation sociale, et celle de la fermentation générale des esprits qui marqua les dernières années de la monarchie de Juillet. Tout concourait à cette heure pour l’amener d’abord aux convictions romantiques ou « rousseauistes » de son temps, c’est-à-dire à la foi dans la bonté naturelle de l’homme, et surtout de l’homme du peuple. Ses études historiques et philologiques donnèrent à cette foi, instinctivement acceptée par lui tout d’abord, une forme très insidieuse, sur laquelle il ne sera pas inutile de nous arrêter un instant au début de cette étude.

À cette époque prédarwinienne, nous le voyons attribuer à l’humanité primitive une faculté éminente qu’il nomme la « spontanéité créatrice. » De même qu’il croit aux espèces nouvelles, sortant tout achevées du limon de la terre après les grands cataclysmes géologiques du passé, il croit aux langues et aux religions bâties en quelques années par le génie spontané des peuples primitifs. En un mot, évolutionniste pour le présent, parce que la pensée européenne supérieure l’était depuis près d’un siècle, il ne l’est plus guère quand il se reporte par l’imagination aux temps préhistoriques.

Dans l’Avenir de la science, il reproche par exemple à Auguste Comte, dont il ne goûta jamais complètement la doctrine, de croire au fétichisme et au cannibalisme initial dans l’humanité. « Cela est, dit-il, inadmissible, au moins en ce qui regarde les races

  1. Georg Fuchs, Der Kaiser und die Zukunft des deutschen Volkes, Munchen, 3e edit., 1906.