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artistiques ; et le duel franco-allemand de 1870, qui le trouvait engagé déjà sur la pente déclive de la vie, ne put modifier, dans leur essence, des conventions sur lesquelles il avait édifié l’idéal de sa jeunesse.

Il est un penseur infiniment plus brillant et plus célèbre qui a connu des hantises pareilles et caressé d’analogues illusions. Nous voulons parler d’Ernest Renan. On assure que Gobineau avait constaté cette ressemblance, la commentait volontiers, et se plaignait sur le tard de s’être vu moins favorisé par la renommée que son heureux émule. En réalité, Renan avait mérité les sourires de cette déesse, — parfois fantasque, il est vrai, — pour des mérites tout autres que ceux qu’il partageait avec Gobineau : pour son incomparable talent de forme tout d’abord, en suite pour ses retentissans travaux d’histoire religieuse. L’éclat provoquant des Origines du christianisme a même trop entièrement rejeté jusqu’ici dans l’ombre un aspect intéressant de la personnalité intellectuelle de leur auteur. Car Renan fut, lui aussi, un champion de l’impérialisme de race, de l’aryanisme et surtout du germanisme théorique. Seulement, quand il a conquis la grande célébrité, il avait cessé d’être tout cela. Il avait trouvé dans son puissant cerveau les ressources nécessaires pour renouveler sur le tard sa conception de l’histoire et de la vie. Aussi, quelques disciples fidèles et quelques psychologues attentifs[1] semblent-ils connaître seuls aujourd’hui, de façon précise, la philosophie historique de son âge viril. Nous allons donc tenter d’éclairer de notre mieux les origines, les triomphes et enfin le déclin du germanisme théorique dans son œuvre. Ces pages jetteront peut-être quelque lumière sur un problème qui a été fort discuté durant ces dernières années, celui du traditionnalisme et du royalisme de Renan. Aussi bien, la récente publication de ses Cahiers de Jeunesse assure-t-elle, s’il en est besoin, à sa mémoire toute l’actualité désirable : et les développemens que prend chaque jour en Allemagne la théorie germaniste avec les travaux de M. Houston Stewart Chamberlain[2], L. Woltmann[3], J.-L. Reimer[4],

  1. Comment oublier les beaux travaux de MM. de Vogué, Brunetière, Séailles, de Mme Mary Darmesteter, etc. ?
  2. Voyez sur ce sujet nos études dans la Revue des Deux Mondes de décembre 1903 et janvier 1904.
  3. L. Woltmann, Politische Anthropologie, 1903, Leipzig.
  4. J. L. Reimer, Ein pangermanisches Deutschland, Berlin, 1905.