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majestueusement assise à la proue de sa galère, d’une main elle tient une rame, de l’autre une branche de cet olivier qui signifie la paix et les arts de la paix, mais qui, ici, rappelle encore la cueillette chantée par Mistral, l’huile, les savons, toute l’industrie : nous sommes à Marseille où l’idéal n’est jamais loin du réel, ni la poésie loin du négoce ; le Marseillais n’est ni un théoricien, ni un « intellectuel, » et la spéculation métaphysique ne trouble guère sa rêverie par les belles nuits d’été, mais il aime les arts et, quand il a réalisé son rêve de fortune, il sait leur faire une large place, parmi les embellissemens de sa vie. Ainsi les Grecs d’autrefois, revenus de leurs courses à travers la Méditerranée, se plaisaient à parer les temples de leurs dieux et à orner, des œuvres de leurs sculpteurs et de leurs peintres, l’intérieur paisible de leurs fraîches maisons. Ainsi Athènes, Bruges, Florence, Amsterdam, ont vu le génie des arts se développer en même temps que le génie du négoce.

Pénétrons dans le grand Palais que l’on appelle, assez improprement, Palais de l’Exportation, et où l’on a rassemblé tout ce que Marseille produit avec les matières premières coloniales et tout ce qu’elle exporte aux colonies. Si nous tournons à gauche, nous sommes à l’Exposition de l’Art provençal ; si nous prenons à droite, toute l’histoire scientifique, industrielle et commerciale de la matière grasse se déroule sous nos yeux. Là, les peintures vénérables, les meubles cossus, les faïences chatoyantes ; ici, la fabrication des huiles et des savons depuis l’antique pressoir à bras jusqu’aux usines modernes ; là, Pierre Puget et Fragonard, les vieux imagiers et les maîtres faïenciers ; ici, Chevreul et Berthelot, les chimistes et les industriels. Le savon fait pendant à l’art : c’est la signature de Marseille. Constatons-le sans aucune ironie, parce qu’il est naturel et significatif qu’il en soit ainsi, que le savon ni l’huile ne font tort aux arts et que la fortune de Marseille est fondée sur la matière grasse, de même qu’on disait jadis que « toute Flandre est fondée sur draperie, » ou qu’ « Amsterdam est bâtie sur des carcasses de harengs. »

L’exposition des corps gras est instructive même pour les profanes. Voici des moulins de tous les temps et de tous les pays, depuis la meule que tourne l’esclave antique, en chantant sa mélopée gémissante, jusqu’aux usines où peine le prolétaire d’aujourd’hui ; une belle carte oléicole du bassin de la Méditerranée ; des panneaux décoratifs qui représentent la cueillette