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me dites pas si Liselotte est bien pour vous et pour les enfans… Tout ce que mon trésor chéri décide pour Liselotte est bien fait et doit être compté comme une faveur que j’ai reçue… » À propos d’une partie sur l’eau : « J’espère que Bettendorf aura fait sa commission et exécuté mon ordre, qui est que Liselotte prenne mon trésor avec elle dans le bateau[1]. » Il est clair, par le tour de la phrase, que Liselotte n’aurait pas emmené la raugrave sans un ordre formel. La duchesse Sophie, inquiète de l’avenir, cherchait partout un mari pour sa nièce et, en attendant de l’avoir trouvé, se faisait conciliante : « Pour Liselotte, je suis fâchée que vous ne soyez pas satisfait de son éducation… Liselotte est de très bon naturel, mais le jugement ne vient qu’avec l’âge, et la princesse de Danemark sera mieux pour la Signora (Mlle de Degenfeld), étant d’une humeur plus posée et nullement agissante ni causeuse, bonne tout à fait[2]. »

Cette dernière lettre est de 1670. Liselotte avait alors dix-huit ans. Elle était fort petite, « sèche comme un copeau[3], » et d’une laideur éclatante, mais point banale, ni ennuyeuse. Elle avait de très petits yeux, un gros nez de travers, de grandes joues plates et pendantes, une fraîcheur appétissante de blonde et d’Allemande, et, illuminant cet ensemble fantasque, un pétillement de vie et de gaieté qui résistait à tous les ennuis. On peut dire quelle sauvait le coup d’œil par sa bonne humeur : « Je me suis moquée toute ma vie de ma laideur, écrivait-elle à la fin de sa vie ; je n’ai fait qu’en rire. Sa Grâce monsieur notre père[4]et notre défunt frère m’ont dit souvent que j’étais laide ; j’en riais et je n’en ai jamais eu de chagrin. Mon frère m’appelait nez de blaireau ; j’en riais de tout mon cœur. » Au fond, cela ne lui était pas aussi indifférent qu’elle se plaît à le dire, puisqu’elle évitait de se voir dans une glace et qu’elle fuyait les regards : « Je me suis toujours trouvée si laide[5], même toute jeune, que je n’aimais pas à être regardée et que je n’ai jamais demandé quoi que ce soit en fait de parure, car les bijoux

  1. Lettres, à Mlle de Degenfeld, des 17 septembre 1665, 23 août 1668 et 24 avril 1664.
  2. Lettres du 20 juillet 1666 et du 24 septembre 1670.
  3. Du 14 juillet 1702, à la raugrave Louise, demi-sœur de Madame.
  4. La lettre, du 22 juin 1719, est adressée à la raugrave Louise.
  5. Cité par Schutz, p. 53, dans Leben und Character der Elisabeth-Charlotte.