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au-dessous ? À côté de ses belles-sœurs, quand il s’en trouve là, ou à deux places de distance[1] ? Dans un projet de couvert qui nous a été conservé, l’Électeur occupe le haut bout de la table. Il a le prince Électoral à sa droite, la princesse Électorale à sa gauche ; Mlle de Degenfeld et son fils aîné viennent après Liselotte. Les autres places sont distribuées aux dignitaires de la cour, chacun selon sa charge et son rang.

Les étrangers avaient beau se surveiller, Son Altesse Palatine soupçonnait des blâmes détournés dans toutes leurs paroles, et elle avait quelquefois raison. Plus d’un, parmi les princes allemands, enviait Charles-Louis et n’aurait demandé qu’à l’imiter ; mais l’Allemagne populaire, toute barbare et toute grossière que l’eût laissée la guerre de Trente ans, avait conservé dans ses malheurs le fond sérieux et honnête qui a fait sa force à travers les siècles. Elle n’était pas bégueule, et passait aux princes un nombre indéfini de maîtresses ; mais elle avait très mal pris la comédie de régularité de Charles-Louis et son odieuse pression sur le clergé. Elle regimbait contre les fantaisies de ce prétendu rénovateur des mœurs, et manifestait sa ferme volonté de renouer les fils de la tradition et de rentrer dans l’ornière de la bonne vieille morale[2].

Liselotte était à la tête de l’opposition. C’était si peu réfléchi de sa part, si inconscient, qu’elle mit trente ou quarante ans à comprendre que son père lui en avait voulu, et ne devina jamais pourquoi. Elevée avec les jeunes raugraves, — c’était le titre octroyé par l’Électeur à Mlle de Degenfeld et à ses enfans[3], — elle s’était attachée de tout son cœur à ces innocens pour qui l’avenir avait si peu de sourires, mais leur mère la trouvait toujours sur la réserve. Madame la raugrave Louise s’empressait en belle-mère, et se heurtait invariablement à Son Altesse la princesse Électorale, personne distante et hautaine. Les preuves de cette situation abondent dans les nombreuses lettres que Charles-Louis envoyait par cavalier à « son trésor, » dès qu’une circonstance quelconque les séparait : « Vous ne

  1. Cf. la lettre de Charles-Louis à Mlle de Degenfeld, en date du 23 avril 1664.
  2. Le volume intitulé Schreiben der Kurfürsten, etc. contient beaucoup d’indications précieuses sur l’opinion publique allemande à l’époque qui nous occupe. Lire entre autres, à ce point de vue, toute la correspondance de Charles-Louis avec Mlle de Degenfeld et la lettre de Christophe von Hammerstein à Charles-Louis, en date du 16 novembre 1669 (p. 384).
  3. L’acte est du 31 décembre 1667.