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m’ont fait présent d’une aiguière et bassin d’argent, avec un grand pot et deux tasses d’argent pour mes enfans. Cela ne vaut pas la peine d’en parler auprès des 70 mille rixdalers que tout l’évêché a donnés à Monsieur leur évêque à son entrée… Tout va ici d’un autre air qu’à Hanovre, Dieu merci… »

La joie naïve qui déborde dans cette lettre aide à comprendre un travail souterrain entrepris vers la même époque par Charles-Louis. Il avait entamé une campagne dont l’objet n’était rien moins que de défaire l’œuvre de la Réforme et d’amener l’Eglise protestante à se réunir à l’Eglise catholique. Il n’est pas aisé d’expliquer pourquoi il avait formé ce dessein, qui risquait de lui aliéner les trois quarts de ses sujets. Ce n’était certes point par des raisons de conscience, puisqu’il ne croyait à aucun dogme ; ni par tendresse pour le clergé catholique, qu’il mettait dans le même sac que tous les autres ; l’un de ses propos favoris était que « le monde n’irait jamais bien tant qu’on ne l’aurait pas purgé de trois vermines : la prêtraille, les médecins et les avocats[1]. » Il est très improbable que ce fût pour des motifs d’ordre politique ; les princes protestans trouvaient trop bien leur compte au régime des Eglises d’Etat. Restaient les raisons d’argent, les ressources inépuisables de l’Eglise romaine pour caser les bâtards de grandes maisons ailleurs que dans les camps. Sans prétendre rien affirmer, c’est la seule explication plausible de l’intérêt témoigné par Charles-Louis à la réunion des deux Eglises : il espérait travailler en même temps pour les enfans de Louise de Degenfeld.

Les premières lettres où il soit fait mention de ce projet sont de la duchesse Sophie[2] : « 19 juin 1661… J’ai fait accroire à notre évêque que vous avez lu son livre de sermons qu’il m’a donné, et que vous avez fort admiré sa modération ; il me demande toujours si vous ne poursuivez point le dessein d’unir les deux religions… » Un autre prince avait eu la même inspiration, ou fait le même calcul, et presque au même moment que l’Électeur Palatin : « (Hanovre, 31 octobre 1661)… Il faut que vous sachiez… que le landgrave de Cassel a écrit une grande lettre de chancellerie au duc George-Guillaume, très pieuse, sur ce qu’il veut unir les deux religions, et demande son avis de

  1. Lettre de Madame, du 14 décembre 1719, à M. de Harling.
  2. Les lettres de Charles-Louis antérieures à 1674 n’existent plus. Il avait ordonné à sa sœur de les brûler.