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belle main en allemand, » et elle avait un précepteur. Le tout sans suite, à travers mille dérangemens, et, tout de même, avec un succès incontestable, dont l’honneur revient à sa tante. Nous avons dit le mal sur la duchesse Sophie éducatrice : il est juste de ne pas taire le bien. Elle avait infiniment d’esprit, et cela sert toujours ; beaucoup de lecture pour son temps, et de goût pour les belles choses : « J’ai souvent ouï dire à défunt papa, lui écrivait Madame (21 juillet 1697), que personne ne possédait mieux Michel de Montaigne que Votre Dilection. » Elle forma sa nièce à aimer la bonne littérature. Madame lui dut de comprendre de prime abord nos grands écrivains, lorsqu’elle débarqua à Saint-Germain l’air un peu paysan, et de savoir bientôt tous leurs chefs-d’œuvre par cœur. Une éducation qui donne de pareils résultats n’est pas manquée.

Deux années se passèrent dans une grande douceur. Vers la fin de 1661, Ernest-Auguste échangea sa situation précaire de cadet sans apanage contre le bon fromage de Hollande que lui avait ménagé le traité de Westphalie : « M. le Duc reçut la nouvelle que l’évêque d’Osnabrück était… allé en l’autre monde,… et fit préparer toute chose pour faire son entrée solennelle dans son évêché. On trouva que je serais (un) hors-d’œuvre à cette cérémonie ecclésiastique[1]. » Le nouvel évêque et « son esvesquine » s’informèrent avec empressement de ce que rapportait Osnabrück : « Je crois, écrivait la duchesse à son frère, que nous ne serons pas trop mal accommodés, encore que le revenu ordinaire de l’évêque ne soit que 18 ou 20 000 écus par an, car le défunt a eu plus de 40 000 écus par-dessus cela, et je crois qu’on en viendra à un arrangement, pour n’être pas obligé de tondre sur tout, comme le défunt a fait. »

Les ouailles d’Ernest-Auguste firent de bonne grâce la part du feu, et ce fut dans les dispositions les plus riantes que la duchesse Sophie vint prendre possession de la maison de plaisance des évêques d’Osnabrück : « À Iburg, ce 29 de sept. 1662. — Il y a trois jours que je me suis rendue ici de Celle et que je me trouve dans une très jolie maison qui m’a fort charmée à mon arrivée ; tout ce qui peut donner dans la vue y paraît magnifique : vaisselle, meubles, livrées, gardes, hallebardiers… MM. les bourgmestres d’Osnabrück m’ont complimentée, et

  1. Mémoires, p. 70. Lettres des 12 décembre 1661, 13 et 26 février 1662.