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(M. l’Électeur) voulait que je devais aussi voir l’autre, ce qui me fit de la peine. J’avais peur que si je la voyais, qu’on jugerait que j’approuvais… » Elle finit par céder, se flattant d’en être quitte avec une visite, mais elle avait compté sans la ténacité de Charles-Louis : « Je me défendis pourtant ensuite d’un commerce plus grand, parce que l’Électrice en pourrait faire du bruit, et que M. le duc[1]y pourrait peut-être trouver à redire. »

D’autres voyages furent empêchés par les circonstances. Tant et si bien que la princesse Liselotte, née rude et bruyante, n’eut jamais l’occasion de se dégrossir avant de venir en France. Cent ans plus tard, Rousseau aurait salué en elle la femme de la nature, et l’aurait louée de ne pas avoir été corrompue par la civilisation. En attendant Rousseau, c’était plutôt une gêne.

Elle recevait une instruction à la mode du temps, c’est-à-dire sommaire. Il y a deux ou trois siècles, il semble que l’ignorance, d’usage pour les femmes on général, fût de règle pour les princesses. La maison Palatine n’avait jamais digéré la science de la belle Elisabeth, l’amie de Descartes. On y avait remarqué des inconvéniens pour une fille de sa qualité : « Ce grand savoir la rendait un peu distraite, et nous donnait souvent sujet de rire[2]. » Il est plus important pour une princesse de ne pas manquer ses révérences que d’avoir une opinion sur le Discours de la Méthode. Charles-Louis fut consulté sur les leçons de sa fille : « Pour l’étude, je pense que vous n’en voudrez point faire une savante[3] ; » et l’on tomba d’accord de n’y point attacher trop d’importance.

À sept ans, Liselotte avait « appris à lire et écrire l’allemand, ses prières et catéchisme (chose très nécessaire). » Son rang l’obligeait à savoir le français. Elle le parla toute sa vie avec un accent qui se conservait dans son orthographe : Louisse, un jéssuitte, appropation ; mais ses lettres françaises sont d’un tour aisé et naturel, et elle fait beaucoup moins de fautes, en définitive, que la Grande Mademoiselle, ou telle duchesse de la cour de France. Elle prit aussi des leçons d’italien, d’autres leçons, on ne saurait dire de quoi, avec « un poète qui écrivait une très

  1. Le duc Ernest-Auguste, son mari.
  2. Mémoires de l’Électrice Sophie, p. 38.
  3. Le texte porte « une Schurmann. » — Anne-Marie de Schurmann était une femme savante allemande. Pour cette partie, cf. les lettres à Charles-Louis des 24 août 1659, 18 avril 1660, 31 octobre 1661.