s’obstinait à rester là, rêvant d’une réconciliation impossible, et étroitement surveillée par son mari, qui la croyait capable de tout, et non sans raison, dans ses accès de colère. Par une dérision cruelle, la malheureuse continuait à jouer son rôle officiel d’épouse légitime et de souveraine. Elle présidait avec Charles-Louis aux réceptions du château, où ils se donnaient en spectacle au public, n’étant capables ni l’un ni l’autre de se contenir. On prétendit qu’un jour, à un festin en l’honneur d’un hôte princier, l’Électeur avait riposté à une parole mordante par un soufflet vigoureux, qui lit jaillir le sang du nez de l’Électrice[1] ; et, si ce n’est peut-être qu’une légende, peut-être aussi est-ce l’un de ces cas où la légende est plus vraie que l’histoire.
Liselotte prenait le parti de sa mère et faisait grise mine à l’intruse. Le père en voulait à sa fille, et son cœur se détachait d’elle. Longtemps après la mort de Charles-Louis, Madame laissa échapper un jour cet aveu mélancolique : « Je crois certainement que Monsieur mon père m’aimait ; mais je l’aimais plus qu’il ne m’aimait[2]. » C’était la vérité. Les sentimens hostiles témoignés par la petite Liselotte à Mlle de Degenfeld lui avaient aliéné son père, et pour toujours, ainsi qu’on le verra dans la suite. Non que Charles-Louis fût possédé pour sa maîtresse de l’une de ces violentes passions, comparables aux forces de la nature, qui, si elles ne justifient pas tout, expliquent du moins tout. Charles-Louis n’avait pas l’étoffe d’un grand amoureux. C’était pire. Il aimait Louise de Degenfeld comme un homme extrêmement sensuel, et déjà sur le retour, aime une jeune créature qui lui est entièrement asservie. Charlotte, accoutumée à le voir économiser sur tout, lui faisait remarquer que les enfans coûtaient cher à élever, et qu’il serait à souhaiter de ne pas en avoir trop. Louise en eut quatorze à la file, sans une plainte ni une objection, mourut en couches du quatorzième et fut aussitôt remplacée par une « robuste Suissesse, » malgré les soixante ans bien sonnés et les maux peu ragoûtans de « Sa Grâce Électorale. »
- ↑ L’histoire du soufflet se rencontre pour la première fois dans La vie et les amours de Charles-Louis, Électeur palatin (Cologne, 1692). On la retrouve ensuite dans une adaptation allemande du livre français. Freytag l’avait acceptée dans ses Bildern aus der deutschen Vergangenheit. Le Dr. Adolf Rucher, éditeur des Mémoires de l’électrice Sophie, estime qu’elle ne mérite aucune créance. Hausser (vol. II, p. 610) la déclare « douteuse. »
- ↑ Lettre du 7 septembre 1710, à l’Électrice Sophie.