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l’auteur, car Dieu voyait que son cœur était pur. — « Fait à Frankenthal, le 6 janvier 1658. »

L’autre pièce est un acte notarié, passé à Heidelberg, le 25 octobre 1658, devant de nombreux témoins, mais en l’absence de Mlle de Degenfeld, et contenant une série de déclarations de Son Altesse l’Électeur : sur le caractère insupportable et les torts graves de Son Altesse l’Électrice ; sur les raisons, politiques et autres, qui empêchaient Charles-Louis de divorcer ; sur les enseignemens à tirer, en pareille affaire, de l’Écriture sainte et des usages des Églises chrétiennes primitives ; sur les raisons de conscience qui l’avaient poussé à « s’adjoindre » Mlle de Degenfeld et sur les engagemens écrits qui les liaient l’un à l’autre en qualité de « mari et femme. » À la fin de l’acte, le notaire avait eu soin de se mettre à couvert en spécifiant qu’il avait instrumenté sur l’ordre de Son Altesse Électorale[1].

Après cette cérémonie, qui dissipait les dernières équivoques, un appartement fut préparé au château pour la seconde femme du maître. Charles-Louis pressait les travaux : « J’ai déjà fait déloger X (l’Électrice) d’en haut, écrivait-il à Louise, et je lui ai donné la vieille chambre à coucher du bas[2]. » Dans la lettre suivante : « Je serais venu aujourd’hui trouver mon ange, si je n’étais forcé de rester ici pour veiller à ce que tout soit prêt ; dès que j’ai le dos tourné, ils lanternent. Ils m’assurent pourtant que tout sera terminé après-demain… Mon maître d’hôtel pense qu’il vaut mieux que mon trésor ait son cuisinier et sa cuisine à part ; cela ne coûtera pas beaucoup plus cher, ce sera mieux apprêté, et ce sera moins dangereux. » Louise était devenue mère entre le certificat du pasteur et l’acte notarié. L’Électeur Palatin eut ses deux femmes et leurs enfans sous le même toit, et laissa jaser. On ne s’en priva point : — « Je voudrais, disait-il, que les Heidelbergeoises s’occupassent davantage de leur cuisine, et moins de ce qui se passe à la cour. » Mais il était impossible de faire taire les gens.

La vertu d’un petit prince allemand d’il y a plus de deux cents ans n’a aujourd’hui d’importance pour personne. Elle n’en avait déjà que fort peu, de son temps, en dehors de sa petite ville ; mais là, pour ceux qui vivaient avec lui ou dans l’ombre de son

  1. Schreiben des Kurfürsten, p. 368.
  2. Cette lettre et la suivante sont de la fin de 1658. Elles ne portent pas de dates.