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rendue coupable à son égard de malitiosa desertione, il avait pris une seconde épouse, la baronne Louise de Degenfeld, « en vertu de la juridiction qui lui appartenait, comme prince régnant, dans les matières ecclésiastiques et politiques, » et il était résolu à passer le reste de ses jours avec elle, « conjugalement et chrétiennement. » Il disait aussi qu’il avait ses raisons de ne pas divorcer avec l’Électrice, et déclarait que sa conscience était tranquille. — « Donné à Heidelberg, le 6 mars 1657. »

Cette communication fut mal accueillie à Heidelberg, et le pasteur de Louise la prévint qu’il lui refuserait la communion. Elle en fut atterrée, et Charles-Louis extrêmement irrité. Il avait mis le Palatinat au régime des « Églises d’État, » régime engendré en Allemagne par la Réforme, et dont l’essentiel consistait à reconnaître dans le prince régnant de chaque pays « l’autorité supérieure, établie par Dieu[1] » sur les pasteurs et pour le spirituel, de même que sur les fonctionnaires et pour le temporel. Les princes régnans goûtaient infiniment ce système, qui leur livrait leurs sujets âme comprise. Quand Luther et Mélanchton, au siècle précédent, les avaient conviés à « régler, » entre autres affaires, « toutes les questions de foi[2], » les chefs de la Réforme n’avaient évidemment pas mesuré le danger. Les princes n’étaient que trop disposés à se mêler de théologie, et ils trouvèrent si commode, à l’user, si avantageux à leur prospérité terrestre, de réunir en leur personne les deux pouvoirs, le temporel et le spirituel, qu’ils s’empressèrent de transformer une mesure révolutionnaire en institution. Au milieu du XVIIe siècle, une « Eglise d’État, » entendue comme on vient de le voir, était devenue la chose du monde la plus naturelle et la plus ordinaire.

Celle du Palatinat comprenait des calvinistes et des luthériens. Le joug spirituel de l’Électeur s’appesantissait sur les uns et sur les autres, et ce joug n’était pas léger. Charles-Louis avait ses idées en religion, des façons à lui d’interpréter les textes, et il aimait à être écouté : il n’oubliait jamais qu’il était « l’autorité supérieure, » chargée de veiller à la bonne interprétation de la parole de Dieu dans ses États. Il prenait si au sérieux cette branche de ses fonctions de souverain, qu’il s’imposait d’aller le

  1. Schreiben des Kurfürsten Karl Ludwig, p. 366.
  2. Janssen, l’Allemagne et la Réforme, III, p. 24. Cf. Ranke, Deutsche Geschichte im Zeitalter der Reformation, vol. II, liv. IV.