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sont produits, et qui n’ont d’ailleurs rien d’anormal. Les Cubains ont l’habitude de s’insurger. Ils le faisaient autrefois contre l’Espagne, ce qui était une noble excuse ; ils le font aujourd’hui contre leur gouvernement, ce qui est moins glorieux et encore plus funeste. La question se pose, en effet, de savoir s’ils ne sont pas plus propres à s’insurger qu’à se gouverner, et la réponse qui y sera faite entraînera pour conséquence le maintien ou la suppression de leur indépendance.

Malheureusement, c’est à cette dernière solution qu’on marche à grands pas. L’indépendance de Cuba est à la merci des États-Unis qui l’a aidée à la conquérir. Tout porte à croire que les États-Unis, après la lui avoir donnée, n’avaient et n’ont encore aucun désir de la lui retirer, en la confisquant à leur profit. L’annexion de Cuba leur causera plus d’embarras qu’elle ne leur assurera d’avantages. Elle aura l’inconvénient très grave d’éveiller contre eux les susceptibilités des autres républiques américaines que leur impérialisme ne laisse pas d’inquiéter quelque peu. L’annexion de Cuba, venant après la création improvisée et l’accaparement de la république de Panama, n’est pas faite pour calmer ces appréhensions. Mais, d’autre part, il y a trop d’intérêts américains engagés à Cuba pour que les États-Unis puissent y tolérer longtemps un régime d’anarchie pure, et la constitution cubaine leur donne elle-même, — amendement Platt, — le droit formel d’intervenir pour rétablir l’ordre. Où en est-on aujourd’hui ? A la médiation entre les partis en guerre, ou à l’intervention ? On a commencé par la médiation, et les deux partis avaient promis de s’y prêter également ; mais ils n’ont pas tenu leur promesse, et il semble bien qu’on soit sur le point d’en venir à l’intervention militaire, qui conduira fatalement à l’annexion. L’indépendance de Cuba ne tient plus qu’à un fil très mince. Elle correspond pourtant à un intérêt général, car personne ne doit souhaiter que les États-Unis, qui sont déjà très grands et très puissans, le deviennent davantage dans la région des Antilles ; mais cet intérêt est de ceux pour lesquels personne aussi n’est disposé à se mettre en mouvement. Si les Cubains perdent leur indépendance, ils auront par surcroît l’amertume de penser qu’ils l’auront perdue par leur faute et que nul ne les plaindra. Leur sort est entre leurs mains.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.