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du haut des fortifications, ou à cultiver le cabaret ! La question s’est posée aussi entre le repos collectif et la continuité du travail maintenue par roulement. Il y a eu quelquefois de la vérité dans les observations qui ont été faites ; il y a eu aussi de la mauvaise humeur dans la manière dont elles l’ont été. Les journaux ont critiqué avec une sorte d’unanimité. Seules, quelques feuilles socialistes se sont montrées satisfaites. Il ne déplaît jamais aux socialistes de voir l’État s’occuper de tout, intervenir partout, réglementer jusqu’à la minutie les conditions de notre vie, décider à quelle heure nous devons nous lever, de quelle heure à quelle autre nous devons travailler, à quel moment nous devons nous coucher. Cet idéal n’est pas encore atteint, mais on y marche, et tout ce qui nous en rapproche est agréable aux socialistes. A cet égard, il y avait dans la loi comme une saveur qui leur plaisait. Aussi les syndicats, quand ils ont vu que son application n’allait pas sans résistances, ont-ils résolu d’y aider à leur manière.

Ils ont demandé la loi intégrale ! La Préfecture de police avait consenti à quelques atténuations provisoires. Parfois aussi des patrons commerçans avaient demandé certaines autorisations, et, d’après la loi elle-même, la demande devait avoir un effet suspensif jusqu’à ce qu’une décision eût été prise. Quelques magasins ont pu en conséquence rester ouverts le dimanche jusqu’à midi : — ou plutôt ils l’auraient pu si les syndicats l’avaient toléré, mais les syndicats ne l’ont pas toléré. Ils ont organisé des bandes, leur ont donné des mots d’ordre, assigné des points de rendez-vous, indiqué des itinéraires, tout cela sur le mode militaire, comme un état-major prépare une expédition. La journée du dimanche 23 septembre a vu les effets de cette stratégie. Les manifestans se sont trouvés partout en nombre utile pour intimider les commerçans qui se croyaient en règle avec les autorités de leur pays : mais ils ne les connaissaient pas toutes, ils avaient oublié les syndicats. De l’intimidation, les bandes sont passées aux voies de fait. Elles se sont ruées dans les magasins ouverts, en intimant l’ordre de les fermer. Un malheureux négociant de Ménilmontant, M. Lepiètre, appelé par le bruit à la porte de son magasin et voyant ce qui s’y passait, a été pris d’une émotion si violente qu’il s’est affaissé sur lui-même et qu’on l’a relevé privé de vie. Il avait, a-t-on dit, une maladie de cœur, et nous le voulons bien. Il n’a pas été, ce qui s’appelle tué, mais il n’en est pas moins mort, et il vivrait encore sans les manifestations du 23 septembre. Les manifestans se sont réunis à la Bourse du travail ; ils ont affirmé, par un ordre du jour, qu’ils n’étaient pour rien dans le triste accident arrivé