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réunis. On sait comment ce principe est appliqué chez nos voisins d’Angleterre : nous aurions de la peine à nous faire à tant de rigueur. Les dimanches anglais sont d’une tristesse morne : ce n’est pas seulement tout travail, mais encore tout plaisir qui y est défendu. Notre législateur n’est pas allé aussi loin : il s’est contenté d’interdire le travail, mais il s’est efforcé de le faire d’une manière absolue. Il aurait été préférable, si cela avait été possible, de laisser le changement s’opérer peu à peu d’une manière spontanée : un assez grand nombre de sociétés y travaillaient. Mais il faut bien reconnaître que leur effort produisait des effets assez médiocres, et que les patrons mettaient peu d’empressement à faciliter et à préparer la réforme. On dira peut-être que la loi n’en était que plus nécessaire : elle n’en était aussi que plus difficile et on ne s’est pas suffisamment embarrassé de ces difficultés. Pour un grand nombre de commerces, il aurait fallu des mesures provisoires, des transitions, des exceptions sous une forme à trouver et sauf compensations à déterminer. A défaut des Chambres, qui ne pouvaient pas entrer dans ces mille détails, le Conseil d’État aurait dû remplir cette partie de la tâche, et il l’aurait fait sans doute si on lui en avait laissé le loisir. Mais tout a été mis à la charge de la Préfecture de police. Il était dès lors inévitable, quelle que fût la bonne volonté de cette administration, que les intérêts lésés criassent à l’arbitraire, et les apparences devaient plus d’une fois donner raison à ces plaintes. Pendant quelques jours, les récriminations ont été générales. Il a fallu au gouvernement une fermeté très grande, qu’il aurait pu souvent mieux employer, pour faire appliquer la loi contre vents et marées. M. le ministre du Commerce s’est montré inflexible. Il a semblé par momens que cette loi du repos dominical était une de celles que la République proclame intangibles et à l’exécution desquelles elle semble attacher son honneur. C’est ainsi qu’on gâte une bonne réforme, et qu’on rend plus sensibles les défauts d’une mauvaise.

Les ouvriers et les employés de tous ordres n’ont pas été moins divisés que les patrons sur la manière de juger la loi. Il en est qui ont besoin de travailler tous les jours pour gagner leur vie quotidienne et celle de la famille : ils demandaient si l’État leur rendrait les salaires qu’ils allaient perdre. D’autres auraient préféré obtenir, ou continuer d’obtenir de leurs patrons des congés prolongés, au lieu d’avoir toutes les semaines un jour dont ils ne savent que faire. C’est à peine s’ils pourront sortir de Paris, où ils devront rentrer dans les vingt-quatre heures. Les voilà condamnés à aller contempler « la belle nature »