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Discours de Lyon, n’avait-il pas cent fois raison ? Et c’est pourquoi quand en France nous parlons de chinoiseries administratives ou autres, nous ne faisons que rapporter, sans le savoir, à leur origine historique réelle des habitudes et des usages que nous nous sommes « inoculés. » Nous sommes vraiment des espèces de Chinois-. Ce qui d’ailleurs ne veut pas dire que la vraie Chine ressemble à celle dont les « philosophes » ont tracé pour nous l’image. Nous-mêmes, connaissons-nous aujourd’hui la vraie Chine ? Y a-t-il une vraie Chine ? Et surtout, n’y a-t-il qu’une Chine ? Mais cela veut dire qu’au XVIIIe siècle l’opinion que l’on se faisait de la Chine, vraie ou fausse, a profondément agi sur la transformation de la mentalité française ; et ce ne sera pas le moindre intérêt du livre de M. Pierre Martino, que d’avoir mis ce fait capital en lumière.

Une dernière considération devait d’ailleurs incliner les « philosophes » du XVIIIe siècle vers l’admiration de la Chine ; et c’était le caractère de la morale chinoise. « C’est une morale infiniment sublime, écrivaient déjà les Jésuites, aux environs de 1687, et puisée dans les plus pures sources de la raison naturelle… Ses enseignemens ne sont pas seulement pour les gens de la Chine, mais je suis persuadé qu’il n’y a pas un Français qui ne s’estimât fort sage et fort heureux s’il pouvait les réduire en pratique. » Ainsi s’exprimait l’abréviateur du Confucius, Sinarum philosophus, le gros in-folio consacré par quatre Pères de la Compagnie de Jésus à la plus grande gloire de Confucius ; et, de ces déclarations, Voltaire ne faisait que déduire les conséquences quand il écrivait à son tour dans son Essai sur les mœurs : « Confucius n’est point prophète, — ceci, pour l’opposer à Mahomet, — et il ne se dit point inspiré. Sa morale est aussi pure, aussi humaine que celle d’Epictète. Il ne dit point : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit, » mais : « Fais aux autres ce que tu voudrais qu’on te fasse. » Sa religion est simple, auguste, sage, libre de toute superstition. La religion des Empereurs et des tribunaux ne fut jamais déshonorée par des impostures, jamais troublée par les querelles du sacerdoce et de l’Empire, jamais chargée d’innovations absurdes… dont la démence a mis à la fin le poignard aux mains des fanatiques. C’est par là surtout que les Chinois l’emportent sur toutes les nations de l’univers. » Et, à son tour, M. P. Martino tire de là cette conclusion que « la philosophie pratique de Voltaire, si elle n’est pas née de ses lectures sur l’Orient, y a du moins trouvé des occasions fréquentes de se préciser. » C’est beaucoup dire, à mon avis, et la « philosophie pratique »de Voltaire, qui lui vient originairement de Bayle et des « libres