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la curiosité, ni même le contact actuel et familier des littératures étrangères.

C’est ainsi que, sans remonter jusqu’au moyen âge, où, comme nous l’avons dit bien des fois, la littérature est vraiment « européenne, » fort peu différente en Italie de ce qu’elle est en Angleterre, et peu différente en Allemagne de ce qu’elle est en France, notre littérature du temps de la Renaissance, ou du XVIe siècle, de 1550 à 1650 environ, est tout entière, et à la fois, tout italienne et tout espagnole. Il n’est pas question d’en chercher ici les raisons. Ce serait un autre sujet. Mais en fait, les Amadis, qui commencent à prendre vogue aux alentours de 1540, sous le règne de François 1er, et dont l’influence, même sur les mœurs, a été si considérable, ne sont qu’une traduction de l’espagnol. Les poètes de la Pléiade, — j’entends les vrais, un Ronsard, un du Bellay, un Desportes, et non pas Baïf ni Daurat, — sont imprégnés d’italianisme. C’est au point que l’on se demande si, peut-être, en dépit de la légende héroïque du Collège de Coquerel, ce n’est pas à travers les commentateurs ou imitateurs italiens qu’ils ont surtout connu l’antiquité gréco-latine : et, en tout cas, depuis qu’un chercheur heureux en a donné l’exemple, il y a quelques années, c’est devenu comme une espèce de « sport universitaire, » que de tâcher de retrouver l’original italien des plus beaux Sonnets de Ronsard ou de du Bellay. Combien de preuves, si l’on le voulait, ne donnerait-on pas de la continuation ou de la continuité de cette influence ! Et si les pamphlets d’Henri Estienne, — son Apologie pour Hérodote, ou ses Dialogues du Langage français italianisé, — semblent en interrompre un moment le cours ; si les Essais de Montaigne, si les sages écrits de du Vair, si même la Satyre Ménippée, à sa manière, qui n’est pas la bonne, ramènent un moment la littérature française dans une voie purement nationale, n’est-il pas vrai qu’avec Henri IV et Marie de Médicis ; avec l’Astrée d’Honoré d’Urfé, qui ne se cache point d’être une imitation de la Diane de Montemayor ; avec l’Adone du cavalier Marin ; avec Chapelain et avec Voiture ; avec Balzac et avec Corneille, le Corneille du Cid et de don Sanche d’Aragon ; avec Anne d’Autriche ; avec ces « burlesques » dont nous parlions il y a quelque temps, n’est-il pas vrai que l’Espagne et l’Italie reprennent toute leur influence ? Et dans le nombre de ceux qui vont la rejeter, combien citerions-nous d’écrivains qui ne l’aient pas subie, si Molière même et La Fontaine n’y ont pas tout à fait échappé ?

Ce qui est donc uniquement vrai, c’est que, pendant une cinquantaine d’années, — de 1660 à 1710, lus cinquante ans qui mesurent à