Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/693

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à favoriser des sociétés coopératives, à procurer le crédit à bon compte, des prêts sur l’honneur. Comme le dit M. Albert Jarrin, les baisses d’épargne sont toutes désignées pour cette tâche, n’ayant point d’actionnaires à enrichir, et jouissant en outre de cette condition qui manque aux banques ordinaires, la permanence, une existence quasi éternelle.

Ajoutons que la défiance de l’Etat est le commencement de la sagesse agricole, et ne nous étonnons pas si beaucoup, paraphrasant la parole prophétique, craignent les présens de ce nouveau Grec, présens qu’il nous offre avec notre argent[1], si M. Méline et presque tous les hommes pratiques ont repoussé la création d’une banque centrale agricole proposée à plusieurs reprises par M. Godet et ses amis. « Une banque centrale doit, comme toutes les parties de l’édifice coopératif, venir à son heure, être la résultante d’un développement profond des institutions locales et régionales, et non les précéder ; être en un mot, même lorsque l’État croit devoir l’encourager, le fruit spontané et issu du mouvement lui-même, en harmonie avec ses conditions, appropriée à ses besoins. » Ainsi s’exprime M. Dufourmantelle dans un vœu adopté par le Congrès de Nancy : on a pensé sagement qu’il fallait organiser le crédit agricole par en bas, on se souvient encore du lamentable désastre où sombra, vers 1876, la grande société fondée en 1860. Les 69 millions de la Banque de France ont déjà fait loucher plus d’un député ; certain ministre n’a-t-il pas marqué quelque velléité de détourner 15 millions de cette destination ? Pas pour toujours, peut-être, on nous le disait, mais les promesses des ministres passés, présens,… et futurs ! Cela vaut, j’imagine, les promesses des hommes d’Etat de respecter l’intégrité d’un empire malade où ils envoient leurs armées. Le budget moderne est un ogre insatiable, plus vorace que Saturne lui-même : et les nourrisseurs de cet ogre sont d’autant plus empressés à le satisfaire qu’ils contribuent grandement à exciter sa boulimie : or le budget, c’est le ventre et l’estomac de l’Etat.

  1. M. Burelle, président de la Caisse régionale de Crédit agricole du Sud-Est, affirme même que faire de l’escompte au-dessous de 3 p. 100, c’est commettre un acte déloyal, car c’est nuire à la Banque de France qui a fourni les fonds nécessaires pour instituer le Crédit agricole. Le Congrès du Crédit populaire et agricole, tenu à Nancy en novembre 1904, a très sagement émis le vœu que les Caisses régionales prennent pour base le taux de la Banque de France, et consacrent la plus grande partie de leurs profits à la constitution de fonds de réserve.