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s’appliquèrent d’abord à créer une certaine atmosphère morale, pour que le crédit mutuel pût fleurir, car celui-ci, pensaient-ils, ne se produit pas par une sorte de génération spontanée, il sort d’un état social préexistant, comme le fruit survient après la fleur. Le goût et l’habitude de l’association, le concours d’initiatives dévouées, la sélection de cultivateurs d’élite, un cercle d’opérations restreint, telles apparurent les premières conditions du succès. Le syndicat agricole devint tout naturellement le point de départ et comme la pépinière de la société, parce qu’il réunit en un faisceau les diverses classes d’agriculteurs, parce que ceux-ci, dans cette école primaire de solidarité, ont appris à apprécier les avantages de l’entente. La première caisse rurale française fut organisée par ses fondateurs sous forme de société anonyme à capital variable : le capital social, fixé à 20 000 francs, fut représenté par 40 actions de 500 francs chacune, dont l’intérêt ne doit pas dépasser 3 pour 100 ; mais il peut y avoir des coupures de 50 francs, pour faciliter l’entrée aux associés peu fortunés, et la loi de 1867 n’exige que le versement du dixième. L’administration demeure gratuite ; afin de limiter les risques, et parce qu’elle est une véritable coopérative de crédit, la caisse ne fait d’affaires qu’avec les membres, exige de l’emprunteur une caution solvable, et les prêts ne dépassent point le chiffre de 600 francs. Comme on voit, ce sont les capitaux des uns qui permettent de faire des avances aux autres. L’emprunteur, dans sa demande, spécifie ses raisons, qui doivent être des raisons d’ordre agricole : achats de bestiaux, semences, engrais. instrumens ; le conseil d’administration consulte la section cantonale correspondante du syndical ; s’il agrée la demande, l’emprunteur signe un billet à ordre de trois mois (billet qu’il pourra renouveler trois fois) ; il le fait endosser par un autre membre ; la société appose la troisième signature ; et voilà un simple cultivateur qui va obtenir de l’argent au taux de 3 pour 100, auquel s’ajoute la commission bien modique de un quart ou un demi pour 100 que prélève la caisse pour ses propres frais. Ce système de responsabilité limitée aux seuls actionnaires peut paraître inférieur au système allemand ; mais au moment où fut fondée la caisse de Poligny, il ne semblait pas possible encore d’établir le crédit mutuel sur le principe de la solidarité complète.

Depuis sa fondation, c’est-à-dire depuis 1883, jusqu’en 1900,