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Dans ce pays où la richesse agricole paie encore un tiers au moins du revenu, les ventes judiciaires pour non-paiement des taxes se multipliaient ; en 1892, on compte 1881 ventes publiques pour des cotes inférieures à deux lires (la lire équivaut à notre franc) ; de telle sorte que, pour recouvrer 2 à 3 000 lires d’impôts, le Trésor a jeté sur le pavé 1 881 propriétaires avec leurs familles, et qu’on a pu dire en un sens « que le fisc italien est le plus socialiste de l’Europe. » Même en Vénétie, la plus riche province de l’Italie, la propriété changeait de mains avec une rapidité inquiétante. A la fin de 1894, on évaluait la dette hypothécaire portant intérêt, debito fruttifero, à 10 milliards 82 millions.

Mais en même temps de grandes choses s’accomplissaient : « En dix ans, ajoute M. Mabilleau, malgré le krach des banques, les révoltes de Sicile et les folies de la politique mégalomane, malgré les charges militaires et les catastrophes coloniales, l’Italie est arrivée à égaliser presque son agio, à supprimer le déficit de ses budgets, et à porter sa rente tout près du pair, à 95. Mieux que cela : elle a su créer des modèles d’exploitation agricole, de gestion financière et d’organisation sociale. Surplus d’un point, elle a pris l’avance dans la voie du progrès économique, et ses maîtresses d’hier, l’Angleterre et l’Allemagne, ne dédaignent pas de venir, après la Belgique et la Suisse, lui demander des leçons… »

Et comment de tels progrès se sont-ils réalisés ? C’est grâce au crédit coopératif, aux caisses d’épargne, à une législation intelligente et libérale que des hommes de grand cœur et de grand esprit, secondés avec énergie par le gouvernement, ont obtenue et appliquée. Instituée en 1865 avec un capital de 27 000 francs, la banque populaire de Milan avait, en 1883, 7 891 000 francs, un fonds de réserve de 3 314 000 francs, 17 millions déposés à la Caisse d’épargne ; elle réalisait 4 231 000 francs de bénéfices en 1882. Au 1er janvier 1896, son capital atteint 8 598 300 lires, sa réserve 4 299 150 lires, ses dépôts dépassent 51 millions, et elle a 17 860 sociétaires. Dans la Haute-Italie et l’Italie centrale, le chiffre des dépôts, les transactions, la prospérité des banques populaires s’accroissent partout dans les mêmes proportions ; la plupart traversent victorieusement les crises économiques, les paniques, l’épreuve du feu, selon le mot de Luzzatti. Et l’on a remarqué que les institutions de crédit coopératif avaient été