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des êtres vraiment providentiels. Schultze n’eut pas seulement à triompher des habitudes, des préjugés ruraux, il dut combattre et les socialistes qui, Lassalle en tête, se montrèrent violemment hostiles au « réformateur bourgeois, » et les gouvernemens qui se méfiaient de ses tendances et ne comprenaient point la portée de son œuvre. Il livra une longue bataille, plus longue que le siège de Troie et finit par la gagner[1]. Ses sociétés d’avance, complétées, disciplinées par deux institutions, la Fédération générale et la Caisse centrale, ont pris un grand essor et prospèrent partout. On peut définir le Worschuss-verein : une société mutuelle entre ouvriers, petits industriels et agriculteurs, ayant pour objet de leur procurer, au moyen du crédit, les fonds nécessaires à l’exercice de leur profession. Pour figurer comme associé, il suffit d’être laborieux et honnête, de jouir de ses droits civils, et d’accepter le principe de la responsabilité illimitée vis-à-vis du déposant (depuis 1889 seulement, beaucoup de sociétés ont consacré le principe d’une responsabilité limitée) ; il faut aussi prendre une action, une part sociale (Geschafts antheil) dont la valeur oscille entre 100 marks (125 francs), et 200 thalers (750 francs). Chaque associé ne peut avoir qu’une seule action ; il se libère, s’il le veut, par de minimes versemens mensuels ou hebdomadaires ; la part sociale devient ainsi une sorte d’épargne obligatoire, et fournit à la société une garantie réelle. L’intérêt payé par les associés emprunteurs est en général de 8 à 9 pour 100, et ce taux, trop élevé pour la classe rurale, éloigne de l’idéal poursuivi le crédit à bon marché : ainsi la fonction sociale de l’institution tend à se déplacer, celle-ci perd en partie son caractère humanitaire, excite à l’épargne plutôt qu’elle ne réalise le crédit personnel, et la majorité des sociétaires se compose aujourd’hui de petits patrons attirés avant tout par l’appât de gros dividendes. Formées presque toujours dans les grandes villes et dans les centres industriels,

  1. Eugène Rostand : la Réforme des Caisses d’épargne françaises ; — Blondel : Étude sur les populations rivales de l’Allemagne et la crise agraire ; — Bodenheimer : le Crédit agricole coopératif, Strasbourg, 1890 : — Louis Durand : le Crédit agricole en France et à l’étranger ; — Claudio Jannet : le Crédit populaire et les banques en Italie du XVe au XVIIIe siècle ; — Le Barbier : le Crédit en Allemagne, Nancy, 1890 ; — Micha : Histoire du crédit agricole en Europe ; — Henri Pierangeli : De la mutualité appliquée au crédit agricole en France et à l’étranger ; — Lassalle : Capital et travail ; — Tisserand et Lefebvre : Études sur l’économie rurale de l’Alsace ; — Heilmann : les Paysans de l’Alsace : l’Impôt et l’usure ; — Cauwès : Cours d’économie politique.