Rossini, sans les répandre à profusion dans sa partition, les y a semés d’une main plus qu’on ne croit attentive. Il en a fait l’atmosphère qui baigne son œuvre, et qui l’embaume, où cette œuvre repose et dont parfois elle frémit. Elle leur doit, en plus d’une page, son caractère local, et comme authentique ; par eux elle se trouve, pour ainsi dire, en règle si ce n’est avec l’histoire, au moins avec la géographie.
L’histoire ! Si la musique de Guillaume Tell n’évoque ou ne représente pas celle des temps anciens, elle s’est mêlée un jour à celle de son temps, et l’opéra d’un Italien, sur un sujet suisse, ne fut pas tout à fait étranger à l’une des révolutions de Paris. « Le lundi 26 juillet 1830, l’affiche de l’Opéra annonçait pour le soir même Guillaume Tell. Le matin, vers midi, tout le personnel du théâtre était réuni sur la scène. Chacun était préoccupé des graves événemens qui se préparaient, car les fameuses ordonnances avaient été publiées la veille et l’esprit de l’émeute grondait déjà. On causait de la chose publique et on répétait Guillaume Tell. Un raccord avait été jugé nécessaire. J’étais présent à cette répétition, seul dans la salle obscure, où pénétraient par momens des rumeurs lointaines. Lorsqu’on arriva au trio célèbre, et que Guillaume s’écria : « Ou l’indépendance, ou la mort ! » un frémissement parcourut le théâtre, et les hommes qui se tenaient au fond de la scène ou qui remplissaient les coulisses : acteurs, musiciens, machinistes, comparses, soldats de garde, frappés d’une étincelle soudaine, accoururent et répétèrent le cri de Guillaume. Jamais mouvement réglé par un habile metteur en scène ne fut exécuté avec autant de chaleur et d’ensemble… Ce fut la fin de la répétition. Beaucoup de ces hommes, cachant sous leurs vêtemens une arme improvisée, partirent et allèrent grossir les groupes qui agitaient les boulevards. Peu d’instans après, on reçut l’ordre de cesser la répétition et de changer le spectacle… L’histoire sait comment il fut changé[1]. »
Les opéras de Meyerbeer sont historiques d’une autre façon. Mais de celle-là même, tout actuelle et comme brûlante, on a prétendu, — plaisamment, — qu’ils l’étaient. « La foule, écrivait quelques années plus tard Henri Heine, qui n’épargna jamais son illustre compatriote, la foule se presse encore à l’Académie
- ↑ Halévy, Derniers souvenirs et portraits.