L’ouvrier vaut vingt francs par jour en Amérique, il vaut quinze francs en Russie, il vaut cinq et dix francs à Paris et à Londres, selon sa puissance de travail. Et c’est parce que sa force abonde à Paris et à Londres, que la France et l’Angleterre fournissent l’Amérique, la Russie et le monde, de mille choses que les autres pays ne peuvent établir à si bas prix.
Pourquoi l’ouvrier reste-t-il à Paris et à Londres, et ne va-t-il pas en Amérique, en Asie, en Russie ? Parce que, dans ces pays, la production est inégale, sans suite, et qu’il n’est pas dans un milieu où la vie soit aussi facile que dans ces deux centres immenses. Si les pays où il est rare, lui donnent vingt francs, ils lui en demandent vingt et un pour le loger, le nourrir, l’habiller, et ils ne l’environnent pas de jouissances comme à Paris et à Londres. Est-il défendu aux ouvriers de mettre leurs forces en commun, de s’établir, de devenir maîtres ? Non. Des ouvriers ont essayé, des ouvriers habiles, courageux, et qui n’ont manqué ni d’audace, ni de bonheur ; ils ont élevé la première maison de Paris, ils ont été les mieux faisant, et ils ont fait faillite ! Leurs lois intérieures étaient draconiennes ; il n’y avait ni coulage, ni perte de temps ; ils ont été sublimes, ils ont été soutenus, nous les avons admirés, et ils sont tombes néanmoins, et nous défions de mieux organiser le travail qu’ils [ne] l’avaient organisé.
Changer le mode amiable entre le maître et l’ouvrier, c’est ruiner le commerce du pays, qui résout, à son profit, le problème de la fabrication.
Vouloir introduire l’Egalité dans la production individuelle par légalité des heures de travail et du salaire, c’est vouloir réaliser la chimère de l’égalité des estomacs, de la taille et des cerveaux ; c’est vouloir égaliser les capacités ; c’est aller contre la nature ! Mais, parmi les ouvriers qui composent cette Lettre, il en est qui lèvent quatorze mille lettres dans leur journée, d’autres dix mille, d’autres sept mille ! Des enfans de dix ans n’en lèvent que deux mille ! S’il fallait les payer à la journée, vous renchéririez les livres de cent pour cent. Voilà l’image de ce que vous faites pour toute la production française.
Nous étions dans cette croyance naïve qu’il y avait au moins une chose jugée en politique, et surtout en France ; c’était que jamais l’Etat ne doit intervenir dans les affaires privées et commerciales, autrement que par le droit commun. Or, quelle intervention