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chercher et trouver le signe d’une pensée qui dépasse l’œuvre. « Le mot de philosophie de l’art, écrivait naguère l’admirateur le plus fervent du grand dramaturge lyrique, un bien gros mot en vérité, sied pourtant merveilleusement à caractériser le génie de Meyerbeer. Il y a chez lui de ces effets qu’un simple musicien ne saurait produire. Prenez un Italien de belle et bonne race et donnez-lui à mettre en musique le trio de Robert le Diable. Qu’y verra-t-il ? Une situation dramatique, un morceau à effet pour ténor, soprano et basse. Mais, à ce magnifique résumé de toute une période de l’histoire, à cette figuration solennelle de l’homme entre l’ange et l’esprit du mal, reproduite sur tous les frontons des cathédrales, croyez bien qu’il ne songera pas une minute. La musique de Meyerbeer est l’œuvre d’un musicien de premier ordre, et aussi d’un penseur. En même temps qu’il y a des idées, il y a aussi l’Idée. »

Blaze de Bury, l’auteur de ces lignes, avait raison ; mais seulement à demi. L’Idée est dans cette musique ; mais elle n’y produit pas tout ce qu’elle renferme, elle n’y arrive pas à son développement intégral. En l’ajustant à son génie essentiellement théâtral, Meyerbeer a dramatisé le symbole et l’a peut-être rétréci. Il a créé des individus plutôt que des types. Jusque dans le trio final, ce génie apparaît ainsi formel et concret. Un testament, produit au moment favorable, une horloge qui sonne minuit, des élémens enfin ou des causes extérieures décident de l’issue de la lutte et la mainmise en quelque sorte visible d’Alice sur Robert assure la victoire matérielle du bien. Et ce bien, quel est-il ? De ce combat quel est l’enjeu ? L’hymen de l’insipide Isabelle, la princesse d’opéra par excellence, et le prie-Dieu nuptial qui attend, à côté du sien, devant le maître-autel de la cathédrale de Païenne, Robert encore frémissant, encore chaud du souffle de l’enfer.

Voilà comme il faut entendre, et restreindre l’élément symbolique dans Robert le Diable, le seul opéra français peut-être où l’on en trouve quelque trace. Au contraire nous l’avons trouvé jadis, cet élément, au centre et comme au cœur de deux opéras allemands, analogues à Robert le Diable par le sujet, mais, par l’esprit, très supérieurs : le Freischütz et Tannhäuser[1]. L’idée y est la même sans doute, le bien et le mal s’y livrant le même

  1. Voyez l’étude signalée plus haut.