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marche, vraiment comique, nous représente aussitôt le noble rang du séducteur. Mais surtout, le dénouement du drame est d’une promptitude étonnante et, qu’on nous passe le mot, d’un sans façons délicieux. « Fenella jette sur Alphonse un dernier regard de tendresse et s’élance vers le Vésuve, — elle lève les yeux au ciel, — elle se précipite dans l’abîme. » Tout cela, y compris l’ascension du Vésuve, et depuis Portici encore ! tout cela, c’est exactement l’affaire de seize mesures, et de seize mesures prestissimo.

Nous ne parlons ici que d’Auber. Les autres maîtres de l’opéra vont sans doute porter le drame sur des sommets, le creuser à des profondeurs où n’atteignit jamais le musicien de la Muette. Mais tout de même ils ne feront guère que du drame ; ils ne s’élèveront pas souvent plus haut que le genre, ils ne pénétreront pas plus avant. Parlant aux musiciens de France, en 1825, Vitet s’écriait déjà, d’une voix prophétique : « Rompez, rompez tout pacte avec M. Scribe et ses amis. Ce sont gens qui font trop bien les drames, vrais fléaux pour la musique. » Pourquoi, sinon parce qu’ils la restreignent et la rabaissent, la faisant compagne, sinon servante, de l’action, voire de l’intrigue seule, plutôt que maîtresse avant tout de l’esprit et de l’âme. Voyez ce qu’est devenu dans l’opéra de Scribe, dans la Muette, ou dans la Juive, ou dans l’Africaine, un des ressorts passionnels, — pour ne citer que celui-là, — de la tragédie, au moins de la tragédie racinienne : l’amour de deux héroïnes rivales pour un unique héros. Mesurez quel abîme sépare les princesses tragiques, même du second rang, une Eryphile, une Atalide, une Aricie, ces créatures vivantes, de ces vaines poupées : Elvire, Eudoxie, Inès, que sont les princesses d’opéra.

« Ab exterioribus ad interiora ; ab interioribus ad superiora. Du dehors au dedans et du dedans en haut. » C’est la belle devise des mystiques et les artistes aussi la pourraient adopter. Il est trop rare que les musiciens du grand opéra français la pratiquent et qu’ils franchissent, résolument et tout entier, le premier de ces deux échelons. La démarche était familière à leurs grands devanciers : aux Mozart, aux Beethoven, aux Weber ; et la reprendre devait être la plus pure gloire de Wagner, leur grand successeur. C’est pour son caractère éminent d’intériorité, que le poète-musicien du Vaisseau Fantôme et de Tannhäuser, de Lohengrin et de Tristan, de l’Anneau du Nibelung et de Parsifal