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fin. Honneur aux pages féminins, bicolores, réunissant les qualités des deux espèces de perdrix, jambe grise et jambe rouge. Honneur aux arbalétriers, aux hallebardiers, aux chevaliers armés de toutes pièces, aux princes de l’Église se promenant à pied, à cheval ! Honneur aux sonneurs de trompette en dalmatique, aux dames et damoiselles couvertes des plus belles étoffes de Florence et de Venise ! Honneur, cent fois honneur aux fringans palefrois, aux coursiers agiles mais prudens, aux dociles haquenées ! Ces quadrupèdes intelligens méditent, préparent le triomphe de leur maître de solfège, de leur professeur de mimique théâtrale ; ils amènent l’Opéra-Franconi sur la noble scène de notre Académie royale de musique. »

« L’Opéra-Franconi ! » Le mot, qui devait faire fortune, est un peu gros, un peu dur aussi. Il n’en définit que plus fortement un des caractères de notre opéra, que l’opéra de nos voisins ne possède pas au même degré. D’origine mondaine, aristocratique et princière, l’opéra d’Italie naquit, à vrai dire, parmi les fêtes et s’entoura d’abord de tous les prestiges du spectacle et de la féerie. Mais il ne tarda pas très longtemps à s’en détacher de plus en plus il se réduisit à la musique, se piquant de la chercher, de la chérir seule et de lui tout sacrifier. Vers le milieu du XVIIIe siècle, c’est une « musicalité » plus dégagée et plus libre, ce sont de petits chefs-d’œuvre sans aucun appareil théâtral, comme la Serva padrona, qui feront, chez nous, le triomphe des « Bouffons ; » et notre opéra-comique se formera sous l’influence de leur génie intime et familier.

Au début du siècle suivant, les œuvres de Rossini, sérieuses ou légères, — j’entends ses œuvres purement italiennes, — plus tard les opéras d’un Bellini, d’un Verdi, dédaigneront les secours de la mise en scène. Ce répertoire ne parlera, ne chantera qu’aux oreilles ; il n’offrira rien aux regards, et si l’on peut soutenir aujourd’hui que naguère, en notre Théâtre-Ventadour, il se fit quelquefois de pauvre musique, on doit reconnaître que du moins il s’y faisait de la musique seulement.

Musical d’une tout autre manière, l’opéra de Mozart également est avant tout, plus que tout musical. Pour nous plaire, sur la scène française. Don Juan s’entoure — et croit s’enrichir — d’un luxe qui ne fait que l’écraser. Entre tous les ouvrages du maître, la Flute enchantée est peut-être le seul qui prête, on se prête au spectacle, et même, pour en manifester le double