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aujourd’hui le succès de nouveauté, de romantisme, obtenu dans la Muette et dans Guillaume Tell, par les paysages d’Italie et de Suisse : l’effet, entre autres, que dut produire le soleil, éclairant de ses premiers rayons la fin de la conjuration du Rütli. On comprend mieux que Robert le Diable ait trouvé dans le tableau, — véritablement admirable à tous égards, — du cloître de Sainte-Rosalie et des « nonnes baladines, » un surcroît de poésie et de beauté. Les Huguenots parurent une représentation, visible autant que musicale, de la Renaissance et de la Réforme à la fois. La Juive, l’année précédente, avait étalé plus de magnificence encore. Dans le Prophète, le ballet des patineurs et les pompes du sacre exciteront l’enthousiasme et, longtemps avant que l’Africaine soit donnée, on vantera, comme un futur chef-d’œuvre, au moins de décoration et de machinerie, l’acte musicalement le plus faible, celui du vaisseau.

De tout temps, il est vrai, quelques voix s’élevèrent contre l’abus de la mise en scène, contre cette prédilection pour le spectacle, qui fit souvent en France le vice ou la faiblesse de la musique au théâtre et la détourna de sa véritable vocation, plus intérieure et plus profonde. Elle a trop peu suivi la maxime du philosophe : « Tôt ou tard on ne jouit que des âmes. » On sait à ce sujet les doléances des grands écrivains du XVIIe siècle et les querelles que la plupart d’entre eux cherchèrent à l’opéra naissant.

Adulte, après cent cinquante ans écoulés, le genre encourait encore de semblables reproches. « En sortant de là, » dit Alfred de Musset et c’est du Théâtre-Italien, où l’on donnait Don Giovanni, qu’il sortait, « en sortant de là, nous allons voir l’opéra à la mode. Nous voilà dans une tombe, dans l’enfer, que sais-je ? Voilà des bourreaux, des chevaux, des armures, des orgies, des coups de pistolet ; pas une phrase musicale ; un bruit à se sauver ou à devenir fou. »

Au mois de février 1835, Castil-Blaze rendait compte avec une verve ironique de la première représentation de la Juive : « Nous avons vu ces décors pompeux et resplendissans déployer leurs tableaux, où la magie des toiles de fond se mêle aux réalités des premiers plans ; nous avons vu ces luisantes cuirasses, ces habits de satin blasonnés, ces riches caparaçons, ces évêques, ces cardinaux, ces moines aux frocs de couleur variée, un populaire immense, adroitement combiné pour l’effet des costumes. On les a proclamés les héros de la fête ; pour eux des bravos sans