Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES ÉPOQUES DE LA MUSIQUE

LE GRAND OPÉRA FRANÇAIS

Je ne sais pas une partition plus belle, et qui me soit plus chère, que ma vieille partition des Huguenots. Sa reliure est de maroquin vert, avec des filets et des tranches dorées. Sur la garde de moire, au-dessus d’une date déjà lointaine et qui dépasse le chiffre de mes années, je regarde parfois, avec une filiale piété, deux lettres entrelacées et pâlies. Les Huguenots jadis, — à cause du duo du quatrième acte sans doute, — étaient, comme Tristan peut-être aujourd’hui, le don que se faisaient les fiancés, quand l’amour de la musique se mêlait à leur amour. Et je n’ai qu’à tourner les feuillets jaunis, pour sentir se ranimer, après mes premières tendresses, mes admirations premières. Je revois, à la lueur mourante des flambeaux, Valentine échevelée et traînant sur les pas de Raoul, héroïquement fugitif, la blancheur de ses voiles. Autour de ces deux figures et comme à leur appel, d’autres peu à peu se rassemblent, ou plutôt elles leur succèdent. Au fond du théâtre, d’un théâtre où reviennent des ombres, Masaniello berce en chantant le triste sommeil de sa sœur. Guillaume passe, l’arbalète sur l’épaule, et jette sa réplique farouche à l’insouciante barcarolle du pêcheur. La scène change et, dans leur cloître en ruines, les pâles nonnes sortent de leurs tombeaux. Puis de nouveaux décors surgissent, que peuplent des figures nouvelles. Au fond de son pauvre logis,