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Non-seulement il fait naître de sérieux traités de théologie comme ceux de saint Hilaire ou de beaux poèmes bibliques comme ceux de Marius Victor et de saint Avit, mais même entre des hommes qui par ailleurs seraient assez médiocres, entre un Ausone et un Paulin, il suscite un conflit qui est en raccourci le conflit de deux mondes historiques et de deux conceptions de la vie. Et l’on pressent combien peut être précieuse, — je dis même au point de vue strictement littéraire, — cette recrudescence de vie intellectuelle et morale.

On commence à voir se dessiner, ce semble, les diverses forces qui ont agi sur la littérature gallo-romaine. Il serait d’ailleurs facile d’en suivre l’entre-croisement à travers le IVe et le Ve siècle. Les Panégyriques nous montreraient ce que peut au juste l’éducation païenne réduite à elle-même chez les gens les plus intelligens, ou les plus instruits tout au moins, de cette époque. Avec saint Hilaire, au contraire, c’est le christianisme qui se découvre à nous, sous l’aspect plus particulier qu’il prend dans notre pays. Ce que peuvent donner ces deux influences s’exerçant sur le fond commun de la race, c’est ce que font voir, à des degrés différens, et, si je puis dire, dans des coins divers de la société contemporaine, un auteur profane, Ausone, un auteur ecclésiastique, Paulin de Nole, et un auteur monastique, Sulpice Sévère. Les poètes contemporains ou immédiatement postérieurs incarnent, d’une façon plus artistique, quelques-unes des tendances morales de cette même société. Et lorsque enfin elle se trouve en présence des Barbares, son attitude envers eux se manifeste à nous dans les œuvres de Salvien et de Sidoine Apollinaire. On passe ainsi des contemporains de Dioclétien à ceux de Clovis et de Théodoric ; et, sans doute, entre tous ces ouvrages, il y a bien des différences d’époque comme bien des divergences individuelles ; mais il semble que dans tous ou retrouve, mélangés à doses inégales, ces trois élémens fondamentaux, l’esprit gaulois, la culture latine et l’inspiration chrétienne, qui ont formé la littérature gallo-romaine en attendant de créer la littérature française.


RENE PICHON.