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porter remède. Quoiqu’ils fussent, pour la plupart, d’origine peu relevée et même peu civilisée, quoiqu’ils eussent vœu dans les camps surtout et que leur attention fût à chaque instant sollicitée par quelque guerre à soutenir ou quelque invasion à repousser, ces soldats daces ou pannoniens parvenus à l’Empire ne manquèrent jamais de mettre au premier rang de leurs obligations gouvernementales le relèvement de l’enseignement public. Ils restaurèrent les édifices scolaires détruits, pourvurent eux-mêmes aux chaires vacantes, payèrent largement les professeurs : Eumène, rhéteur et directeur de l’école d’Autun, reçut de Constance Chlore un traitement de 600 000 sesterces, plus de 120 000 francs[1]. Ils encouragèrent les maîtres par une monnaie qui devait encore plus séduire ces hommes si candides et si sincères, comme dit Pline le Jeune, je veux dire par l’estime et la considération. Rien n’est plus poli, plus respectueux même que la lettre impériale qui annonce à Eumène sa nomination à la tête de l’école d’Autun. Et ce n’étaient pas là de vaines formules protocolaires : les empereurs marquèrent aux rhéteurs le cas qu’ils faisaient d’eux en les appelant à leur cour et en leur confiant des charges considérables. Nepotianus et Exuperius devinrent gouverneurs de provinces, Eumène secrétaire des commandemens de Constance ; Ausone, précepteur de Gratien, fut nommé par lui successivement comte, préfet du prétoire et consul ; un ancien rhéteur, Eugène, arriva même à l’Empire. Jouant un rôle aussi important, les professeurs se sentirent plus de confiance, parlèrent avec plus d’autorité, furent écoutés avec plus d’empressement ; il y eut alors, comme le dit l’un d’eux, une résurrection de la rhétorique romaine[2].

En tout pays une pareille renaissance de l’enseignement aurait eu son contre-coup sur la littérature, qui en dépend toujours plus ou moins étroitement : mais combien cette liaison est plus intime dans le monde latin qu’elle ne peut l’être dans la société actuelle ! La littérature romaine a toujours été, pour une large part, une littérature d’école : ce sont des professeurs et des savans de métier qui l’ont fondée, et plus tard, sous l’Empire notamment, ses caractères les plus appareils ne sont que des reflets

  1. Paneg., IV, 11.
  2. Paneg., IV, 19 : « Illum temporum statum quo, ut legimus, romana res plurimum terra et mari ualuit ita domum integrari putant, si non potentis, sed etiam eloquentia romana reuirescat. »