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concurrence à Athènes dans le monde occidental qu’elle ne servait l’influence romaine. Autun, au contraire, était un centre vraiment latin. Comme, bien avant la conquête, les Eduens avaient embrassé la cause de Rome et reçu ce titre de « frères du peuple romain » que leurs descendans portaient encore orgueilleusement sous Constantin[1], c’est à eux, tout naturellement, qu’allèrent les premiers bienfaits des vainqueurs, ou plutôt Rome continua à faire servir à son œuvre d’assimilation ces fidèles amis. De même que la politique éduenne avait aidé César à conquérir la Gaule, les écoles des Eduens aidèrent ses successeurs à compléter par l’autorité intellectuelle l’œuvre commencée par la force. Sous le règne de Tibère, Tacite nous montre les jeunes nobles gaulois se portant en foule à Autun pour y apprendre la grammaire et la rhétorique latines[2]. Mais cette école si brillante resta longtemps isolée. Ce n’est que plus tard qu’apparurent ses rivales, celle de Reims d’abord, puis celles de Narbonne, de Toulouse, d’Auch, de Poitiers, surtout celle de Bordeaux, et cette extension de renseignement coïncide sans nul doute avec celle de la culture romaine.

Ainsi donc, géographiquement, la civilisation latine en Gaule s’est développée du dehors au dedans. Quant à sa diffusion sociale, elle s’est opérée de haut en bas. Là comme dans toutes les provinces, les classes dirigeantes ont été seules, tout d’abord, à apprendre la langue et à adopter les mœurs de leurs vainqueurs. Elles y étaient prédisposées par leur souplesse intellectuelle, plus affinée que celle de la foule, et elles y étaient poussées par leur ambition, puisqu’on ne pouvait recevoir le droit de cité, à plus forte raison exercer les charges publiques, si l’on ne connaissait la langue officielle[3]. Il est donc probable que les premiers latinisés furent les grands propriétaires, descendans des anciens nobles ou des anciens druides, ceux qui formèrent l’aristocratie municipale des nouvelles cités, et dont les plus distingués ou les plus riches furent admis au Sénat et dans l’ordre équestre. Parti de cette élite, le mouvement gagna,

  1. Paneg., VIII, 2.
  2. Tacite, Annales, III, 43 : « Nobilissima cum Galliarum subole liberalibus studiis ibi operata. »
  3. Suétone, Claude, 16 et Dion Cassius, I, X, 17, racontent que Claude retira le droit de cité à un Grec qui ne pouvait répondre à une question faite en latin, et Dion ajoute qu’il déclara qu’on ne pouvait être Romain sans parler latin, εἰπὼν μή δεὶν Ῥωμαῖον εἶναι τὸν μὴ ϰαὶ τὴν διάλεξιν σφῶν ἐπιστάμενον.