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gages de Tibère, puis avocat sous Caligula et Claude, un Aper, que Tacite nous montre causant familièrement avec le descendant de la vieille maison romaine des Messalla, ne sont-ce pas Là des « déracinés, » chez lesquels la marque locale devait être singulièrement atténuée ? — J’en dirai autant de Trogue Pompée, qui était issu d’une ancienne famille gauloise, mais dont le père était un secrétaire de César, et dont au surplus nous ne connaissons que bien imparfaitement l’histoire universelle à travers le médiocre abrégé de Justin. — J’en dirai autant encore de Pétrone, dont on a souvent voulu faire un de nos ancêtres. « Si Pétrone est un Romain véritable, » disait récemment un traducteur américain du Satiricon, M. H. Thurston Peck, « s’il est Romain au même titre que Cicéron ou Tacite, il est étrange qu’il n’ait pas eu à Rome de précurseur ni de successeur, et qu’il taille, pour lui trouver des analogues, descendre jusqu’à la littérature française moderne. » Et M. Collignon, l’homme de France qui s’est le plus occupé de Pétrone, trouve « tentante, » lui aussi, cette hypothèse qui ferait de Pétrone « le compatriote de nos maîtres en l’art du conte et de la nouvelle. » Tentante, soit ! mais pour qu’elle fût vraie, il faudrait d’abord que l’auteur du Satiricon fût le même que le chevalier Petronius Arbiter, ce qui n’est pas sûr ; ensuite, que ce Petronius Arbiter fût de Marseille, ce qui n’est pas sûr non plus ; et quand tout cela serait vrai, il resterait que le Satiricon, écrit à la cour de Néron ou dans quelque villa de Campanie, n’est pas plus un roman marseillais ou gaulois que le Gil Blas de Le Sage n’est un roman breton. Au fond, Pétrone comme Trogne Pompée, et tous les orateurs ou poètes qu’a produits la Narbonnaise à la fin de la République ou au commencement de l’Empire, peuvent bien figurer, si l’on veut, dans un répertoire des hommes célèbres nés en Gaule, mais non pas dans une histoire de la littérature gallo-romaine.


III

Cette littérature ne date en réalité que du IVe siècle, et j’ajoute qu’elle ne pouvait guère éclore auparavant : il fallait pour cela que plusieurs conditions préalables se fussent réalisées, et tout d’abord, que la culture latine eût profondément pénétré dans toute la Gaule. Or cette diffusion a dû demander un