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Non seulement il faut séparer soigneusement la question de la littérature de celle de la langue, mais dans la littérature même il importe de faire certaines distinctions. Doit-on, par exemple, y comprendre les écrivains originaires de la Cisalpine, nés eux aussi « en Gaule » pour parler comme les anciens, et issus d’une race gauloise latinisée ? Assurément il serait tentant de rattacher à la littérature gallo-romaine des auteurs comme le Véronais Catulle, le Mantouan Virgile, le Padouan Tite-Live, le Cômais Pline le Jeune. Et les argumens ne manqueraient pas à qui voudrait retrouver en eux certains caractères de notre esprit national. Ainsi il suffirait de prendre Catulle, non pas lorsqu’il s’occupe à traduire ou à « adapter » des poèmes alexandrins, mais lorsque, cédant à sa fantaisie spontanée, il écrit des vers d’amour ou des vers satiriques. Les premiers ont, comme dit Fénelon, une « simplicité passionnée, » une franchise précise et directe, une souplesse aisée, qui contraste avec la gaucherie pédantesque de Properce et la virtuosité subtile d’Ovide : ce n’est pas en vain qu’on les a si souvent comparés à ceux de Musset, le plus français, le plus parisien de nos poètes lyriques. Quant à ses épigrammes, leur finesse (au moins relative) et leur naturel se distinguent de l’exagération bouffonne et triviale de celles de Martial comme la plaisanterie française s’oppose au grotesque ou au picaresque espagnol ; elles sont dirigées d’ailleurs le plus souvent contre les gens qui pèchent par défaut d’élégance ou de courtoisie, dominées par conséquent par cette conception de la vie mondaine qui chez nous séduira tant de poètes de ruelles, de cour ou de salon. — Virgile, de son côté, Virgile, grec par l’érudition, romain par le patriotisme, est des nôtres cependant par certaines tendances de son génie, par sa facilité à s’assimiler ce qu’il emprunte, son habileté à fondre ensemble des élémens divers et même opposés, l’égalité de son inspiration, l’harmonieux équilibre de sa composition, la perfection mesurée de son style, tout ce qui en un mot le différencie profondément de l’abrupt Lucrèce ou du fougueux Lucain : ici encore une comparaison bien souvent répétée, banale même, entre lui et notre Racine, nous avertit qu’il n’est pas pour nous un étranger. Et ce n’en est pas un non plus que Tite-Live. — Des idées générales judicieuses et moyennes, des alignemens réguliers de déductions, des développemens abondans, un beau langage à la fois facile et précis, peu de couleur, peu d’imagination,