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romanes, toutes différentes entre elles et toutes différentes du latin. Car d’attribuer cette naissance à l’action des Barbares, cela semble peu aisé : les Lombards ou les Ostrogoths en Italie, les Francs en Gaule, les Wisigoths en Espagne n’ont été ni assez nombreux ni assez développés intellectuellement pour influer beaucoup sur le langage des vaincus. Reste donc que ce langage se soit transformé spontanément en vertu des tendances ethniques : l’italien, ce serait le latin prononcé par des bouches italiennes et construit par des pensées italiennes, et de même pour le français ou pour l’espagnol. — Ce système ingénieux se tient très bien : malheureusement il est ruiné par les faits. Dès que l’on regarde les inscriptions latines de tous les pays occidentaux, on retrouve partout les mêmes changemens de vocabulaire, de morphologie ou de syntaxe. Ainsi, qu’est-ce qui caractérise le roman du moyen âge ou le français moderne par rapport au latin ? C’est raccourcissement des mots par la chute des syllabes atones ; c’est le remplacement des cas, des temps et des modes, en tant qu’expressions des rapports entre les idées, par des tours périphrastiques formés à l’aide de prépositions, de conjonctions ou de verbes auxiliaires ; c’est enfin la substitution de l’ordre analytique à l’ordre synthétique. Or il n’est pas un de ces traits qui ne se retrouve dans le latin gallo-romain, il est vrai, mais aussi bien dans le latin hispano-romain ou dans le latin d’Afrique. Voici comment M. Monceaux décrit ce dernier : « La syllabe accentuée, de plus en plus tyrannique, assourdit, abrège ou supprime les autres, affaiblit les finales. De là beaucoup d’erreurs dans l’emploi des cas, des genres et des temps, et, par conséquent, une tendance à simplifier la déclinaison comme la conjugaison ; puis, la nécessité de recourir aux prépositions, aux conjonctions et aux verbes auxiliaires pour préciser le rapport des mots ; enfin, dans la syntaxe, une préférence marquée pour l’ordre analytique. Nous n’insisterons pas sur ces traits communs au latin vulgaire de toutes les provinces[1]. » Ce témoignage a d’autant plus de force qu’il émane d’un des savans qui ont été les plus tentés par l’idée d’une différenciation locale du latin populaire. Très désireux de retrouver dans la langue des Africains la même originalité que dans leur génie littéraire, M. Monceaux croit l’apercevoir dans certaines tendances

  1. Monceaux, les Africains, p. 105.