Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/566

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est difficile de montrer plus éloquemment, — sinon plus simplement, — l’intérêt que présente, surtout pour des Français, la littérature gallo-romaine, et, si Ampère avait aussi exactement rempli sa lâche qu’il l’avait clairement conçue, nul doute qu’il n’eût laissé une œuvre définitive. Par malheur, son cours, ou du moins le livre qui en est sorti, ne répond qu’imparfaitement à ces belles promesses. Au lieu d’étudier les divers ouvrages gallo-latins pour chercher, en chacun d’eux, les premiers germes de l’esprit français, Ampère se contente d’habitude d’en donner une analyse hâtive et vague, entremêlée de réflexions épisodiques et de creuses généralisations. Comment d’ailleurs suivre le développement réel d’une littérature lorsque, au mépris de la chronologie, on passe immédiatement des Panégyristes à Ausone et à saint Paulin, pour revenir ensuite à l’arianisme et à saint Hilaire ? Enfin, emporté par son zèle de « découvreur, » Ampère veut à tout prix grossir la littérature qui lui appartient par droit de conquête ; il y incorpore d’office tous les écrivains qui, sans être nés en Gaule, y ont vécu quelques années, et tous ceux qui y sont nés, n’y eussent-ils pas vécu plus tard. Il écrit, par exemple, un chapitre sur Lactance et trois sur saint Ambroise. Procédé de confiscation bien étrange car, à supposer que Lactance ait écrit en Gaule quelques-uns de ses ouvrages, ses idées et son talent étaient définitivement formés bien avant qu’il n’y mît le pied ; et si un hasard a fait naître à Trêves saint Ambroise, son activité politique et religieuse dépasse singulièrement le cadre du monde gaulois. En somme, le livre d’Ampère est plutôt une compilation, très intéressante du reste, qu’une véritable histoire, puisqu’il n’a de l’histoire ni la méthode, ni l’ordre, ni l’unité.

A peu près à la même époque, dans un chapitre de son Empire romain, Amédée Thierry appelait aussi l’attention du public lettré sur les écrivains latins de la Gaule[1]. Mais si le livre d’Ampère est trop décousu, l’étude de Thierry, fort restreinte d’ailleurs, est un peu trop systématique. Il voit bien le rôle qu’ont joué dans la littérature latine les diverses provinces ; seulement il établit entre elles une succession chronologique qui n’existe pas. Il n’y a pas, comme il le croit, une période italienne, une période cisalpine, des périodes espagnole,

  1. Amédée Thierry, Tableau de l’Empire romain, liv. III, ch. II.