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Je croirais plutôt à une vraie filiation et l’on s’en apercevrait davantage si l’on n’avait la fâcheuse habitude de reléguer dans l’ombre plus de la moitié des productions du moyen âge, sous prétexte qu’elles sont écrites en latin. Elles sont importantes cependant, et c’est faute d’en tenir assez de compte que l’on commet les sophismes les plus réjouissans. On se plaint que la littérature médiévale manque d’idées. Je le crois bien ! on commence par oublier toutes les œuvres où il y en a. Les ouvrages de langue vulgaire, chansons de geste ou romans de chevalerie, farces ou fabliaux, dont je ne méconnais point la naïveté tour à tour émouvante et amusante, ne sont pourtant que des divertissemens de grands enfans, destinés au peuple, ou aux barons, lesquels sont « peuple » par l’esprit. Mais tous ceux qui ont quelques connaissances et un tant soit peu de force de pensée, les clercs, les docteurs, les érudits, tous les « intellectuels » du moyen âge, se servent du latin, qui demeure pour eux et par eux une langue vivante en même temps qu’une langue savante. Il y a là une tradition qui, sur notre sol, n’a jamais été tout à fait interrompue. Après la génération des Salvien et des Sidoine Apollinaire, qui a assisté à l’écroulement de l’Empire romain, des poètes comme Fortunat, des historiens comme Grégoire de Tours et Frédégaire, essaient, — bien gauchement, — de rester fidèles aux formes classiques. Les compilateurs qui viennent ensuite conservent au moins le souvenir de la culture gréco-latine, souvenir assez fort pour susciter encore la courte renaissance carolingienne. Puis ce sont les docteurs et théologiens de la scolastique, depuis Hincmar et Scot Erigène jusqu’à Gerson ; puis les humanistes du XVe siècle, dont les écrivains de notre Renaissance sont les disciples : autant d’anneaux de la chaîne qui, à travers les siècles, relie les contemporains de François Ier à ceux de Dioclétien et de Constantin. La littérature gallo-latine est donc bien l’origine réelle, quoique lointaine, de la nôtre, et puisque, comme on l’a vu, elle en possède déjà quelques traits caractéristiques, ce serait à peine user d’une formule paradoxale-que de l’intituler « la littérature française avant les Francs. »


II

C’est ce qu’avait assez ingénieusement compris, aux temps du romantisme, un des érudits les plus féconds, les plus