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Chaque fois que la communauté des genres ou des thèmes traités permet de comparer un écrivain gallo-romain avec un latin d’Italie, d’Afrique ou d’Espagne, on voit poindre chez le premier les qualités, ou les défauts, qui se retrouveront plus tard chez bon nombre d’auteurs français. Ainsi, dans l’éloquence d’apparat, quelle différence entre les Florides d’Apulée et les Panégyriques d’Eumène ou de Claudius Mamertin ! Là, des causeries fantaisistes et décousues, pleines de hors-d’œuvre capricieux, brillantes dans le détail, imagées, curieusement travaillées, avec une affectation perpétuelle d’esprit précieux et de style artiste ; ici, des harangues solennelles et régulières, d’un ton soutenu, d’une allure noble, uniforme, tout à fait « académique. » De même, dans la littérature théologique, saint Hilaire est moins emporté que Tertullien, moins compliqué que saint Augustin, moins tourmenté que saint Jérôme ; sa lucidité et sa précision dans la controverse, sa loyauté dans la polémique, son horreur des innovations capricieuses et des raffinemens métaphysiques, son invincible besoin d’y voir clair, sa ferme et fière dignité dans ses relations avec ses collègues ou avec le pouvoir impérial, en font déjà, treize cents ans d’avance, un vrai prélat « gallican. » De même encore, lorsque Prudence et Paulin de Nole, à peu près en même temps, essaient de créer une poésie chrétienne, ils ne s’y prennent pas de la même façon. Du christianisme, l’Espagnol Prudence envisage surtout le côté sérieux et passionné, l’héroïsme mystique et l’ardent ascétisme ; ses hymnes en l’honneur des martyrs, tout brûlans d’une énergie concentrée et farouche, rappellent l’âpre stoïcisme des Sénèque et des Lucain et annoncent la dévotion exaltée des autos sacramentales. Paulin, sans être moins sincère, est plus léger et plus familier : même après sa conversion, au sein de la pénitence, il conserve des qualités, déjà très françaises, de finesse et de bonne humeur, d’enjouement aimable et de bonté facile. La bonhomie d’Ausone, gaie et franche, un peu prosaïque et en quelque sorte « bourgeoise, » l’élégance ingénieuse et la douce malice de Sulpice Sévère, la verve satirique et la curiosité amusée de Sidoine Apollinaire, achèvent de faire de cette littérature gallo-latine une esquisse anticipée de notre littérature à nous, telle qu’elle a été dans sa période la plus classique et la plus véritablement nationale.

N’y a-t-il là qu’une coïncidence, une ressemblance fortuite ?