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LA LITTÉRATURE GALLO-ROMAINE
ET LES
ORIGINES DE L’ESPRIT FRANÇAIS

Il en est un peu des littératures comme des nombreuses familles ; les derniers venus y sont quelquefois sacrifiés. Les historiens qui ont regardé beaucoup d’hommes et d’œuvres sentent, à mesure que leur travail s’avance, leur attention se lasser et leur curiosité s’émousser ; et, quand ils aperçoivent le terme du chemin, une impatience instinctive les entraîne à presser le pas. Peut-être aussi sont-ils avertis par un secret pressentiment que ces productions d’arrière-saison ne leur offriront rien de bien nouveau : les idées et les émotions qui servent de thèmes à la création artistique ne sont pas en nombre illimité ; l’œuvre dans laquelle chacune d’elles a été consacrée sous une forme définitive impose sa tyrannique obsession à tous les écrivains qui viennent ensuite ; et, à moins que brusquement les circonstances ambiantes ne soient transformées, ou qu’il n’éclose un grand génie tout à fait original, on est sûr d’avance que les derniers ouvrages d’une littérature ne seront que des répétitions affaiblies, de fades « répliques » de ses chefs-d’œuvre essentiels. On en est sûr… ou l’on s’en croit sûr ; — et l’on se dispense, sinon d’y aller voir, au moins d’y regarder de très près. N’est-on pas dupe aussi de la métaphore par laquelle on assimile l’évolution littéraire d’un peuple à la vie d’un individu ? et, sous prétexte que notre vieillesse à nous est débile et stérile, ne se hâte-t-on pas un peu trop de condamner, a priori, à une incurable anémie tout ce qui suit