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c’est en se montrant de plus en plus hospitalier aux pratiques romaines que l’anglicanisme reprendrait sur le peuple une influence bienfaisante. La renaissance catholique, qui se manifesta, dans le catholicisme anglais, par une incursion des exigences de l’Evangile dans le domaine économique, serait-elle donc destinée, dans l’anglicanisme même, à préparer et à mûrir un renouveau de « christianisme social ? »

« Si je n’étais pas devenu catholique, écrivait Manning, je n’aurais jamais pu travailler pour le peuple, en Angleterre, comme celui-ci pense que je l’ai fait. L’anglicanisme m’aurait enchaîné. La liberté de la vérité et de l’Eglise m’a élevé au-dessus de toute dépendance et limitation. » Il estimait que l’Eglise de l’Etat ne peut pas être l’Eglise du peuple ; il consentait joyeusement que le catholicisme laissât à l’anglicanisme la première estampille. « Ma conviction, disait-il encore, est que l’Eglise ne se répandra en Angleterre, que si elle manifeste de larges sympathies populaires qui l’identifient, non avec ceux qui gouvernent, mais avec les gouvernés. »

Les « tractariens » et Newman avaient apporté à leurs compatriotes, en faveur du catholicisme, certaines raisons philosophiques, théologiques, historiques ; Manning apportait des raisons sociales. Il attribuait à l’Eglise romaine, avec un acharnement de preuves, l’honneur de toutes les initiatives pour lesquelles lui-même était aimé. Parmi les innombrables assistans qui, en 1892, honorèrent la renaissance catholique elle-même en honorant la dépouille mortelle de Manning, d’aucuns peut-être se souvenaient que le caractère démocratique de cette renaissance avait été, dès le début, pronostiqué par un « tractarien, » mort tout jeune sur le seuil de l’Eglise, Hurrell Froude, et que, dès 1835, ce Fronde, séduit par les idées de Lamennais, rêvait d’une Église s’appuyant sur les classes pauvres… Et comme l’anglicanisme n’avait pu se dérober à la gloire onéreuse et paralysante d’être « chose d’Etat, » c’était le catholicisme qui, par la bouche de Manning, avait eu l’audace d’« éveiller chez les dockers, — suivant les propres termes de leur adresse de remerciemens, — la conscience de leur dignité d’hommes ; » c’était le catholicisme, libre de s’allier avec les pauvres, qui avait accompli le rêve du « tractarien » Froude.


GEORGES GOYAU.