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anglicane était serve de l’Etat, parce qu’elle ne pouvait, physiologiquement parlant, si nous osons dire, avoir d’autres pulsations que des pulsations commandées par l’État. Le siècle qui, d’une part, émancipait au-delà de la Manche l’Église catholique, amenait au contraire l’Eglise anglicane à persévérer de plus en plus impitoyablement dans son être, c’est-à-dire dans sa dépendance ; et la liberté qui s’offrait aux catholiques, et dont ils profitaient, semblait au contraire reculer, toujours plus lointaine, toujours plus inaccessible, devant cette élite d’âmes anglicanes, qui, par une contradiction féconde en douleurs, persistaient à l’appeler de leurs vœux.

Mais si rien n’est plus profitable à l’énergie d’une Eglise que la pleine liberté de sa vie intérieure, cette situation différente des deux confessions donnait au catholicisme, pour les luttes permanentes dont l’âme anglaise est l’enjeu, d’étranges et précieux avantages. L’action sociale qu’exerce une Église est en raison de son indépendance : le peuple, lors même qu’il se sent ou qu’il se croit représenté par les corps constitués de l’État, n’attache qu’une médiocre importance religieuse à une Eglise qui lui apparaît comme l’émanation de cet Etal, et dont Newman pouvait dire qu’elle n’était « qu’une sorte d’accessoire, d’appendice, d’arme ou de parure du pouvoir royal. » C’est ce que sentirent, vers le milieu du siècle dernier, les théologiens qui s’efforcèrent de créer, sous les auspices de l’anglicanisme, une sorte de socialisme chrétien, les Denison Maurice et les Antony Hort. Rattachés au Broad Church par l’élastique complaisance de leur Credo, ils désapprouvaient l’esprit joséphiste des Stanley et des Jowett, comme s’il leur eût paru que l’Etat ne pouvait que faire obstacle à la vraie popularité du Christ. La « respectable » et « confortable » allure qui méritait aux dignitaires de l’Église anglicane les honneurs décernés par l’Etat, apparaissait à ces réformateurs, de même qu’aux « tractariens, » comme un médiocre moyen de propagande et de conquête ; et ce qu’il y avait d’un peu haut et d’un peu sec dans la belle et grave tenue des high fashioned clergymen les prédestinait assez mal au contact avec la pauvreté.

Cent ans plus tôt, les développemens du prolétariat industriel avaient offert au méthodisme naissant un merveilleux terrain d’action : l’Esprit était descendu vers les pauvres, il les avait relevés, sans que l’Église anglicane parût envier au