Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/544

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturel qu’ils fussent méconnus : Newman fut très étonné, après sa conversion, de ne point rencontrer chez les prêtres du catholicisme « ce caractère doucereux et affecté qu’on leur imputait d’ordinaire ; » et Ward, un autre nouveau venu, ne s’était pas encore corrigé de son injuste sévérité d’anglican lorsqu’il disait à Jowett : « Les catholiques anglais ne savent pas ce que c’est que l’éducation. Beaucoup d’entre eux ne peuvent écrire l’anglais. Quand l’un d’eux entre en controverse avec un protestant, c’est un barbare se rencontrant avec un homme civilisé. » Ainsi parlait un converti, et l’un de ceux qui mettaient au service de Pie IX l’activité la plus docile et la plus exubérante ; ainsi parlait celui qu’on pourrait peut-être dénommer le Louis Veuillot de l’Angleterre.

« Nous sommes heureux de vous souhaiter la bienvenue, monsieur Ward, lui avait dit, au surlendemain de sa conversion, Mgr Griffiths, vicaire apostolique de Londres. Du reste, nous n’avons rien à vous donner à faire. » Ce langage était révélateur, il attestait le médiocre enthousiasme avec lequel les catholiques anglais accueillaient une recrue nouvelle ; tout bruit leur était odieux, et les convertis faisaient du bruit autour de l’Eglise et bientôt en feraient dans l’Eglise. Les catholiques de naissance, ombrageux et timides, n’aimaient pas que le public s’occupât trop du catholicisme, et redoutaient aussi, dans leurs discrètes chapelles, l’intrusion de toute influence imprévue. Ils avaient crainte des courans d’air, dont parfois l’Esprit a besoin. Il semblait qu’à leur lit de mort le seul témoignage qu’ils souhaitassent de se rendre devant Dieu pût se formuler dans la célèbre parole de Sieyès : « J’ai vécu. » Et certes, pour leurs ancêtres, à qui chaque messe pouvait coûter la pendaison, c’était beaucoup, apparemment, de pouvoir dire en mourant : « J’ai vécu, » et le Dieu caché qu’on servait en cachette ne demandait rien de plus. Mais au clair soleil du XIXe siècle, les catholiques anglais, héritiers de trois siècles d’alarmes, avaient mieux à faire qu’à « avoir vécu ; » ils avaient à vivre ; il leur fallait, sortant de leurs catacombes, s’arracher à cette sorte de joug que laisse encore peser sur la liberté des âmes la tyrannie des bourreaux disparus.

Treize siècles plus tôt, l’Eglise celtique de la Grande-Bretagne, se repliant devant les Saxons et les Angles, avait envieusement marchandé à ces barbares le trésor de ses