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ce qu’ils faisaient, ce qu’on voulait dire quand on les appelait catholiques romains, nul n’aurait pu l’expliquer ; on savait seulement que cela sonnait mal et parlait de formalisme et de superstition… On ne retrouvait les catholiques, en Angleterre, que dans les endroits reculés, dans les ruelles, dans les caves, dans les mansardes ou dans la solitude de la campagne, séparés de la foule au milieu de laquelle ils vivaient ; on les entrevoyait seulement dans l’obscurité, à travers le brouillard ou le crépuscule, fantômes fuyant de-ci, de-là, devant les fiers protestans, maîtres de la terre.


Lorsque le progrès des mœurs contraignit ces « fiers protestans » d’adoucir les lois et d’accorder aux catholiques l’accès des fonctions, ceux-ci, semblables à des enfans longuement martyrisés, avaient pris une telle habitude de l’effacement apeuré, qu’un évoque même se rencontrait, en pleine année 1830, poulies dissuader d’entrer dans la carrière publique à cause des dangers qu’y pourrait courir leur foi. A l’école de ce prélat, les catholiques anglais étaient condamnés à se comporter en émigrés de l’intérieur, au temps même où devant eux les portes commençaient de se rouvrir : « Leurs chaînes étaient enlevées, disait tristement Wiseman ; non la crampe et l’engourdissement que ces chaînes avaient produits. »

On eût pu croire que ces malheureux effarouchés, dans la retraite où ils se barricadaient, éprouvaient du moins une sorte d’attrait à garder jalousement, dans toute leur plénitude, l’intégralité des observances romaines. Mais il n’en était rien : ils semblaient bien plutôt donner au monde cette attristante leçon, qu’une foi trop longtemps « mise sous le boisseau, » bien loin d’être protégée, court le risque de se décomposer et de se diminuer. Ils avaient une peur étrange des pratiques de piété les plus courantes en terre catholique, rosaire, litanies, exposition et bénédiction du Saint-Sacrement, vénération des images des saints ; et si leur répugnance pour les « dévotions italiennes, » comme ils disaient, s’exprimait parfois avec une fierté tout anglaise, on n’avait pas de peine à découvrir, derrière cette apparence de fierté, l’atavisme de la peur. C’était la peur qui avait amené leurs. ancêtres à se détacher de ces pratiques trop palpables, trop tangibles, et dès lors trop aisément exposées à l’œil du policier, au châtiment du bourreau ; la peur encore, l’inconsciente peur héréditaire, empêchait l’infortuné troupeau, — pusillus grex, — de les reprendre et de les remettre en honneur.

Aspirant à être ignorés, à se rendre invisibles, il était